Cavalli et Alarcon pour Il Giasone à Versailles : une alliance naturelle par-delà les siècles
Cette production d’Il Giasone de Francesco Cavalli, signée par les soins de Serena Sinigaglia, fut créée au Grand Théâtre de Genève en janvier 2017. Cet ouvrage, qui conduit sans encombre l’auditeur du rire franc à l’émotion la plus prégnante (le magnifique lamento désespéré de la reine Isifile au troisième acte, lorsqu’elle pense que Giasone est définitivement perdu pour elle au profit de la magicienne Medea), reste un modèle du genre : celui de l’opéra vénitien de la première moitié du 17ème siècle. Il mêle avec adresse, les fameux lamenti chers à Cavalli, les scènes de genre avec plusieurs personnages hauts en couleurs, le travestissement, de courts arie expressifs et de très belles scènes dédiées au sommeil et aux rêves. Les rebondissements se suivent et se percutent, l’amour retrouvant ses droits dans le cadre d’une fin animée et heureuse (lieto fine).
Leonardo García Alarcon -que vous pouvez retrouver pour une interview toute récente sur Ôlyrix- a établi lui-même cette version abrégée et très équilibrée d’Il Giasone, avec presque trois heures de musique alors que l’ouvrage original comporte une heure de plus. À Versailles, la distribution vocale proposée est sensiblement identique à celle de Genève, Francesca Aspromonte s’emparant du rôle clé d’Isifile et Alejandro Meerapfel remplaçant Sir Willard White en Oreste. Annoncé souffrant, le sopraniste Valer Sabadus passe bien dans le cadre relativement intime de l’Opéra Royal de Versailles. Son interprétation du fort versatile Giasone (Jason) convainc parfaitement, et vocalement, en dehors de quelques sons droits et durs, il parvient à séduire sur la durée. Face à lui, la mezzo-soprano Kristina Hammarström au timbre prenant, aux moyens larges et affirmés, incarne une Medea passionnée, toute d’intensité scénique. Raul Giménez déploie une voix de ténor surtout sonore à défaut d’être nuancée dans le rôle d’Égée, roi d’Athènes amoureux transi de Medea, avec une tendance à surjouer un peu. Le soprano ravissant de Francesca Aspromonte, à la fois léger et souple, trouve en Isifile un rôle à sa mesure. Elle y déploie un charme certain, composant un personnage à la fois candide, affirmé et courageux. Démos, le valet bègue d’Égée bondissant et mal embouché, est incarné avec virtuosité par le ténor Migran Agadzhanyan. Présent depuis une quarantaine d’années désormais sur les scènes lyriques dans le répertoire baroque, Dominique Visse continue à suspendre par son aisance scénique et sa vis comica. Son interprétation de la vieille nourrice Delfa, monstrueuse croqueuse d’hommes, réjouit légitimement toute la salle.
Valer Sabadus (Il Giasone) et Kristina Hammarstöm (Médée) (© GTG / Magali Dougados)
Les autres rôles –Taras Berezhansky Hercule sonore et bienveillant, Günes Gürle, Besso, second de Giasone, Alejandro Meerapfel, Oreste un peu en retrait, Mariana Flores, Alinda délurée- donnent toute satisfaction. N’oublions pas le personnage de l’Amour -gros putto joufflu et aguicheur- incarné avec vivacité par la soprano Mary Feminear. Pleine de drôlerie et d’inventivité, la mise en scène alerte de Serena Sinigaglia ne heurte jamais le texte ni la musique. Elle met en valeur les spécificités de la partition et du texte de l’habile Andrea Cicognini. En parfaite cohésion avec cette approche, Leonardo García Alarcon mène son ensemble Cappella Mediterranea avec une détermination affirmée, un sens du rythme certain presque effréné même : il laisse peu de temps aux spectateurs pour souffler un peu !
Il Giasone par Serena Sinigaglia (© GTG / Magali Dougados)