Passacalle de la Follie pour le 20ème anniversaire de Pluhar et Jaroussky
C’est un répertoire largement méconnu qu’abordent ici Philippe Jaroussky et Christina Pluhar, à la tête de son ensemble L’Arpeggiata. Comme l’explique le livret d’accompagnement, l’air de cour français du XVIIe siècle est un genre fortement influencé par les musiques baroques espagnole et italienne, les compositeurs français n’hésitant pas à écrire dans les langues de Dante et Cervantès (ou un mélange des deux et d'autres), comme en témoigne la « Passacalle de la Follie » d’Henry de Bailly qui donne son nom à l’album.
Ce morceau synthétise d'ailleurs deux éléments musicaux typiquement baroques : le rythme à trois temps lent et entêtant de la passacalle (passacaille, passacaglia, pasacalle, ... les noms de cette danse indo-espagnole sont nombreux, tout comme leurs orthographes) et les variations sur le célèbre thème de la "Folia".
Le thème privilégié des 16 pièces est l’amour, tantôt joyeux et printanier, tantôt désespéré, confinant à la mélancolie voire à la folie. Ce contraste insuffle au disque sa dynamique, entre morceaux festifs et tendres élégies, dans un style musical épuré qui laisse champ libre à l’improvisation. Christina Pluhar et son ensemble ne s’en privent pas, animant cette musique d’une énergie féroce et débordante, d’inspiration authentiquement baroque et toujours entraînante aux oreilles de l’auditeur du XXIe siècle.
Dans cet ensemble, la voix de contre-ténor Philippe Jaroussky s’intègre comme un instrument à part entière. Une clarinette, si la comparaison est de mise : il en a le timbre brillant et boisé, la souplesse vocalique, les attaques nettes, légèrement pincées. Le vibrato est réduit au strict nécessaire. Il n’oublie pas pour autant de servir le texte par une élocution soignée, teintée d’émotion contenue. Dans ce registre musical sobre, sans affectation, les ornementations sont discrètes : quelques trilles et appogiatures (petite note) agilement brossées. Mais l’expressivité passe surtout par le phrasé et les intonations, d’une richesse de coloris savante et limpide dans ses sentiments.
Outre son jeu au théorbe, dont la basse continue minutieuse et organique constitue le ciment de l’ensemble, Christina Pluhar a concocté l’arrangement de plusieurs morceaux. Les instruments et leurs interprètes sont mis en lumière à tour de rôle : le cornetto de Doron Sherwin au babil fulgurant et lumineux, la harpe baroque de Flora Papadopoulos au jeu délié, subtilement métallique et mélancolique, la guitare de Josep Maria Martí Duran aux notes égrainées avec fièvre, le violon élégiaque de Jesús Merino Ruiz, la viole de gambe profonde et plaintive de Rodney Prada, sans omettre le battement de cœur des percussions de David Mayoral, qui confère à la musique toute sa dimension vivante et entraînante.
La prise de son de Mireille Faure égalise l’ensemble et affine le relief sonore avec beaucoup de netteté. Il en résulte un disque jubilatoire, dans le ton si reconnaissable de L’Arpeggiata et de sa cheffe Christina Pluhar. Philippe Jaroussky y brille, sans jamais voler la vedette aux instrumentistes, avec un naturel et un dévouement à son art qui, vingt ans après, parvient toujours à surprendre.