Saison Musicale des Invalides - Exil et Résistance : L’Heure bleue
“Un programme de commémorations, d’engagement et de résistance” : c’est ainsi que nous le présente la violoniste Marianne Piketty qui dirigera également son ensemble à cordes "Le Concert Idéal" pour ce concert lundi 2 décembre 2024 à 20h dans le Grand Salon. Elle poursuit également ainsi : « Ce programme, nommé “L'heure bleue”, met en miroir des compositeurs visionnaires. Il a été construit, comme toujours, dans l’idée de notre Concert Idéal : nous voulons mettre en résonances des compositeurs qui ne sont pas nécessairement liés par un espace géographique ou une période temporelle, mais qui permettent de bâtir une narration.
Le point de départ dans mes recherches et le cœur de ce programme est le « Concerto funèbre » pour violon et orchestre à cordes de Karl Amadeus Hartmann, composé en 1939 sous le titre Musik der Trauer (Musique de deuil). La force narrative de ce concerto, la beauté de ses lignes mélodiques en font une œuvre majeure de notre répertoire qui me touche profondément. J’ai eu envie de la partager, de la rendre accessible et de la porter dans un programme qui ferait sens.
Dès 1933, ce compositeur allemand a compris le sens tragique de l’Histoire que prenait l’Europe mais il a justement décidé de rester dans son pays : de se mettre dans un “exil intérieur” (ce qu’on nomme en allemand “Innere Emigration”).
Il est resté, il est demeuré, pour résister de l’intérieur, pour témoigner, pour continuer de composer des œuvres aux symboles puissants (qui sont alors jouées également en-dehors de l'Allemagne). Hartmann dédie à son fils ce Concerto funèbre qu’il compose dès 1939 (les accords de Munich signés par les puissances occidentales contre son allié Tchécoslovaque et en faveur de l'Allemagne nazie datent de 1938, Hitler envahit la Tchécoslovaquie puis la Pologne en 1939).
Le 1er mouvement est un choral “hussite” et dénonce ainsi l’annexion de la Tchécoslovaquie. Jan Hus était ce théologien tchèque du début du XVe siècle, précurseur du protestantisme, martyr supplicié pour ce fait, pour avoir voulu prêcher en tchèque et défendre sa patrie.
Le 2ème mouvement est une pavane, une longue méditation désespérée et solitaire du violon.
Le 3ème est une course à l'abîme, celle vers laquelle s'enfonce l'Europe. Hartmann y intègre des citations de compositeurs exilés, de Bartok, de Stravinsky, dans un univers sonore très tendu évoquant Chostakovitch, autre compositeur de l’exil intérieur également au programme de notre concert, dont le chaos intérieur impressionne dès sa jeunesse.
Avant le 4ème mouvement, figurent deux mesures de silence, écrites : une suspension impressionnante avant le mouvement final qui reprend un chant révolutionnaire russe (Aux révolutionnaires tombés) : un appel à la résistance.
Ces deux mesures de silence ont été comme un déclic dans mes recherches, elles sont venues évoquer pour moi cette notion de l'heure bleue : ce moment de suspension à la fin de la nuit, lorsque les bruits de l’obscurité vont céder la place aux sons de la journée. Sur un plan à la fois artistique, poétique et politique, cette heure bleue est ce moment d’incertitude et de choix.
À l’heure où Hartmann compose cette pièce, alors qu’il est exilé dans son propre pays, il fait le choix de la résistance et garde foi en l'humanité.
Ce concert s’ouvre et se referme avec Hildegard von Bingen, compositrice mystique du XIIe siècle. Une femme inspirante : musicienne, poète, médecin, grande érudite qui considère l’être humain dans sa globalité (sans dissocier la spiritualité du corps). Cette musique touche et apaise immédiatement.
Dans ce programme, ce sont les visions d’Hildegard von Bingen qui nous guident dans la nuit. Le dernier accord d’Hartmann empli de dissonances trouve son apaisement, sa lumière dans la dernière vision d’Hildegarde, Vos flores rosarum qui décrit les roses capables de repousser sur un champ ensanglanté. Notre compagnon de route, chorégraphe et musicologue, Olivier Fourés en a fait des “projections” pour cordes : ce ne sont pas des transcriptions car il s’agit plutôt de retrouver l’essence de cette musique, ses résonances, sa dimension visionnaire.
J’ai voulu interroger le XXIe siècle et j’ai donc demandé au compositeur contemporain Philippe Hersant de nous offrir une pièce, en lien avec ces compositeurs visionnaires. Il a écrit Une Vision d’Hildegarde, pièce lumineuse, très calme, inspirée d’une vision qui s’appelle “O vis æternitatis”.
Le Grand Salon des Invalides sera sans aucun doute un écrin parfait pour ce concert, avec une réverbération suffisante pour porter les visions, sans perdre la clarté et la narration des œuvres plus denses de Chostakovitch et des mouvements rapides d’Hartmann. Le lieu est magnifique et habité, on pourrait parler d’un programme idéal du Concert Idéal en un lieu idéal.
Nous voulons vivre et faire vivre cette heure bleue qui est une expérience intellectuelle et sensorielle. Et si nous pouvons y proposer ce programme engagé qui représente un certain aboutissement de ma démarche artistique, c’est parce que Christine Dana-Helfrich (Conservateur en chef du patrimoine et chef de la Mission musique au musée de l'Armée) a su fidéliser un public curieux et avide d’expériences musicales riches, grâce à une programmation toujours portée par des thématiques pertinentes où histoire, patrimoine et arts se répondent. »
Vous pouvez réserver à cette adresse vos places pour ce concert, ainsi que pour les autres concerts de la saison musicale des Invalides.
Retrouvez également l’interview grand-format de Christine Dana-Helfrich qui présente le cru 2024/2025 de sa programmation musicale, ainsi que nos cinq épisodes de cette série, ci-dessous :
1- “Une certaine idée de la France”
2- Exil et Résistance !
3- L’Heure bleue
4- Sur grand écran
5- Emprisonnement et Libération