Le Tribut de Zamora à Saint-Etienne : 1. Xaïma par Chloé Jacob
« L’action se passe en Espagne, à Oviedo, ville royale, dans la région des Asturies au IXe siècle. Xaïma est fiancée à Manoël. Ils doivent se marier aujourd’hui même selon la foi chrétienne, qui les anime tous les deux. Dès le premier acte, on comprend que Xaïma porte la marque d’un passé qui l’a traumatisée : la perte de ses parents dans la bataille de Zamora, sa mère enlevée par les arabes, et son père tué sous ses yeux en défendant sa ville. Pourtant, elle reste digne et fière, malgré ce passé qui aurait pu l'ébranler.
Son bonheur retrouvé est entaché par l’arrivée dans la ville d’Oviedo d'une délégation arabe représentant le calife Abd-el-Rhaman, conduite par le chef de guerre Ben-Saïd. Ce dernier vient pour réclamer le tribut annuel de cent vierges, stipulé dans le traité signé après la défaite des chrétiens à la bataille de Zamora quinze années auparavant (le fameux tribut de Zamora, donc). Xaïma rappelle avec ce feu intérieur qui la caractérise, certains détails de cette bataille à laquelle, enfant, elle a assisté, et comment les défenseurs de Zamora ont dignement couru à la défaite en chantant l’hymne national. Ben-Saïd s’éprend d’elle, frappé par sa beauté et son caractère, et lui déclare déjà un ardent amour en lui proposant de partager sa vie luxueuse. Alors que Xaïma et Manoël le mettent en garde de leurs noces immédiates, Ben-Saïd se fait oiseau de mauvaise augure et leur présage une fin rapide à leur bonheur.
Entre alors le roi Ramire qui annonce que Le Tribut de Zamora doit être prélevé par tirage au sort sur la ville d’Oviedo. Evidemment, le nom de Xaïma sort de l’urne. Elle est amenée par les arabes jusqu’à un camp sur les rives de l’oued El-Kedir proche de Cordoue, où l’on fête l’anniversaire de la victoire sur Zamora et où les 100 vierges seront vendues comme esclaves. Manoël, déguisé en soldat arabe, a suivi le cortège des captives. Il rencontre Hadjar, le frère de Ben-Saïd, qui le reconnaît malgré son déguisement, pour avoir été son sauveur lors de la bataille et recousu la plaie qui a alors failli lui être fatale. Il propose à Manoël comme remerciement de l’aider à racheter Xaïma.
L’enchère commence et Ben-Saïd fait monter l’offre sur Xaïma, jusqu’à 10.000 dinars d’or, bien plus que ne peuvent Manoël et Hadjar. Elle est donc condamnée à le suivre en son palais.
Là-bas, Ben-Saïd fait tout ce qui est en son pouvoir et offre à Xaïma une vie fastueuse pour qu’elle accepte son amour. La folle Hermosa entre. Elle se rend compte que Xaïma est espagnole et née à Zamora, comme elle, et que les deux femmes étaient toutes deux présentes lors de la bataille. Hermosa avait alors été séparée de sa fille dans l’église, et de son mari qui chantait l’hymne national en défendant sa patrie. Elles se rendent compte qu’elles sont mère et fille.
Dans les jardins du palais, Xaïma retrouve Manoël qui est prêt à mourir pour l’avoir perdue aux mains de son rival. Elle lui rappelle le serment qu’elle lui avait fait, celui de mourir avant de lui être infidèle. Ils décident donc de se suicider tous les deux pour être ensemble dans la mort. Hermosa entre et reproche à Xaïma de vouloir la quitter alors qu’elles viennent seulement de se retrouver. Les deux amoureux implorent son pardon et tous trois fomentent une évasion.
Ben-Saïd les surprend et menace à nouveau Manoël. Xaïma s’interpose et le menace de mettre fin à ses jours s'il s’en prend à son bien-aimé. Ben-Saïd tente à nouveau de séduire Xaïma et, comme elle reste interdite, il la violente. Hermosa se dresse entre elle et Ben-Saïd pour tenter de le convaincre de lui rendre sa fille et la laisser s’enfuir. Il refuse obstinément, elle le tue d’un coup de poignard. Hadjar arrive sur ces entrefaits avec des soldats, mais devant la mort de ce frère, sous la main d’Hermosa qu’ils prennent pour folle, il cite le Coran “Tiens pour saints les fous, sinon, sois maudit !”. Xaïma, Hermosa et Manoël sont libérés.
Le caractère du personnage se retrouve bien entendu dans la musique et dans la vocalité, les rythmes martiaux parfois, la tessiture. Il n’y pas véritablement d’airs pour Xaïma au même titre qu’un “Air des bijoux” ou “Air du rouet” chez la Marguerite de Faust par exemple. Aussi la difficulté de ce rôle, malgré une vocalité globale qui est assez démonstrative surtout dans les ensembles, c’est de le rendre intéressant et incontournable dans la pièce alors qu’il endosse simplement la fonction de faire “avancer l’action” dans une écriture théâtrale et dramatique, et sans les atouts que procure un “grand air”.
Cela passe d’abord par faire transparaître toute la dignité et le courage du personnage dans ses prises de paroles. Elle a le courage de se dresser contre le pouvoir qu’incarne Ben-Saïd pour préserver son honneur. Il faut donner à son discours un côté royal qui inspire le respect, rendre l’interprétation généreuse et sincère avec une vraie profondeur d’expression et de sentiment, et surtout ne pas rendre le texte (ou le personnage) mièvre.
Il faut en effet prendre du recul par rapport à la dévotion et la foi du personnage (par ailleurs caractéristique de l'œuvre de Gounod, très pieuse parfois) et en faire une marque de courage et un feu intérieur qui l'anime. Xaïma est une âme noble, figure féminine se dressant contre le patriarcat, prête à risquer sa vie pour sauver celle de son amour. Elle est constante, dans ses croyances et sa loyauté envers Manoël. Vertu, dignité et courage sont les maîtres mots qui la caractérisent, j’ai hâte de voir comment la mise en scène et la scénographie prêteront leur concours à rendre ce personnage passionnant et fort.
Dans l’acte I, un passage absolument splendide est le moment où Xaïma tient tête à Ben-Saïd, qui est déjà surpris de sa beauté et de son caractère. Ce dernier tourne Manoël en ridicule, quand il prétend être le fiancé de Xaïma. Il lui dit « Es-tu fils de roi ? », ou encore à elle « Dis-lui donc qu’il est fou ! »
Xaïma quant à elle, droite dans ses convictions et ses croyances, répond qu’ils seront mariés dans la journée. Sa foi et ses valeurs lui font dire que même si ce fils de roi était à ses pieds, et elle en prend Be-Saïd à témoin, elle lui dirait de garder ses richesses pour une fleur offerte par son aimé, ses bras à son cou.
Évidemment le texte pourrait conduire à rendre le chant trop « amoureux », trop tendre. Mais je crois qu’il faut lui donner un côté plus affirmé, plus ferme et avec un air de défi : “Qu’est ce que tu dis de ça Ben-Saïd, peux-tu faire mieux ?”. Xaïma n’est pas facilement impressionnable, elle aime les choses simples, elle a perdu sa famille, et Manoël incarne son tout.
L’enjeu principal, surtout dans le cas de la redécouverte d’un ouvrage où il n’existe que peu de références (la seule version enregistrée dans son intégralité est l’admirable version du Palazzetto Bru Zane avec l’Orchestre de la Radio de Munich et Hervé Niquet à la baguette, qui nous dirigera également à Saint-Etienne), c'est de ne pas passer à côté du texte et de le rendre intelligible malgré parfois quelques tournures d'un français du XIXe qui pourraient altérer sa clarté. Pour cela, la prononciation doit être impeccable. Mon maître, Mireille Delunsch, qui m’a beaucoup appris au CNSMD [Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse] de Lyon et encore aujourd'hui, dirait qu’il faut avoir le courage d’aller contre les accents naturels de la musique, en mettant en exergue certains mots qui seraient aussi sur les temps faibles par exemple.
Je suis née en Auvergne et ai fait mes premières armes au Conservatoire de Clermont-Ferrand, puis au CNSMD de Lyon. Malgré la proximité avec Saint-Etienne, je n’ai jamais travaillé au Grand Théâtre Massenet. Aussi, le rôle de Xaïma, je l’ai avec bonheur obtenu par le jeu des auditions en octobre 2021 et grâce à mon agent (Agence Cedelle). Je suis très heureuse de cette prise de rôle dans cette belle maison. La direction artistique fait la part belle aux chanteurs français, et n’hésite pas à confier des premiers plans aux jeunes comme moi. C’est une immense chance, surtout vu les difficultés que connaît le genre opératique aujourd’hui.
La variété de leur programmation et cet intérêt pour la redécouverte du répertoire français en font une maison qui prend des risques et qui occupe une place de premier choix dans le paysage lyrique français. J’ai aussi l’impression que c’est une maison fidèle à ses artistes, aussi, j’espère que cette production sera le début d’un beau chemin ensemble. »
Rendez-vous chaque jour pour un nouvel épisode de cette série où les artistes vous présentent Le Tribut de Zamora par leurs personnages, et réservez vos places pour Saint-Etienne ces 3 et 5 mai 2024 à cette adresse.
1. Xaïma par Chloé Jacob
2. Hermosa par Élodie Hache
3. Iglésia, l’esclave par Clémence Barrabé
4. Manoël par Léo Vermot-Desroches
5. Ben-Saïd par Jérôme Boutillier
6. Hadjar et le Roi par Mikhail Timoshenko
7. l’alcade Mayor et le Cadi par Kaëlig Boché
8. le metteur en scène Gilles Rico
9. le Chœur par Laurent Touche
10. l'Orchestre par Hervé Niquet