Pelléas et Mélisande à Liège, épisode 9 : l’enfance d’un chef
« Il est si difficile, impossible de choisir dans la partition de Pelléas et Mélisande, mais je pourrais vous parler de la chanson d’Yniold avec le Berger… car elle a l’air d’une grande simplicité : on retourne à des rythmes en croches et en noires, à des mélodies en peu de notes, tenant et répétant ces notes…
C’est donc un passage qui a l’air facile mais qui s’avère en fait toujours redoutable.
Il retrouve pourtant cette musicalité naturelle des enfants, qui chantent lorsqu’ils parlent (j’en sais quelque chose) : c’est cela qu’il faut rendre et traduire en musique. C’est un enjeu mais qui est aussi celui de tout cet opéra, et je suis très connecté à ce lien parole/musique : je suis très “Gluckiste” dans ma pratique de l’opéra (je suis branché sur le drame, le théâtre, le texte). Pelléas et Mélisande n’est pas simplement un poème symphonique avec voix, il faut une symbiose entre la fosse et le plateau.
Et ce passage avec Yniold n’est pas le moment le plus attendu de l’opéra, mais il fait partie de ceux que j’attends dans la soirée.
Derrière son apparente simplicité, ce passage renferme ainsi un enjeu essentiel, c’est aussi le cas en ce qui concerne le drame : cette scène mène immédiatement vers la tragédie, la colère de Golaud qui tue Pelléas embrassant Mélisande.
Comme dans tout ce livret, chaque phrase, chaque mot dit quelque chose. Ainsi, en parlant des petits moutons au berger, Yniold annonce-t-il le drame :
“Ils sont déjà trop loin... Ils ne font plus de bruit... Ce n'est pas le chemin de l'étable... où vont-ils dormir cette nuit? Oh! oh! il fait trop noir... Je vais dire quelque chose à quelqu'un…”
Cet Yniold est certes un enfant, mais pas tant que cela car il comprend bien des choses…
La grande arche dramatique de cette partition, ce flot consistant, d’une scène à l’autre et qui fait la cohérence globale, se dessine de part en part. Mais dans ce contexte, cette scène d’Yniold, qui est un interlude, prépare déjà -y compris par son apparente légèreté- le drame le plus terrible de la scène suivante : avec beaucoup de clés et de non-dits. Les personnages de cette œuvre se disent qu’ils s’aiment seulement avant de mourir, on ne dira pas que Mélisande est morte, et Yniold dit simplement “Je vais dire quelque chose à quelqu’un…”
Cette œuvre et ce passage ont aussi quelque chose de très particulier et précieux pour moi : lorsque j’enregistrai Pelléas et Mélisande à Bordeaux (une production qui est devenue captation en temps de Covid), pendant les séances, j’ai été appelé à l’hôpital car je devenais papa. Cette parentalité nouvelle, dans ce contexte très particulier, ont été bien évidemment des bouleversements et, même sans le vouloir, j’ai forcément mis dans ma direction de Pelléas des émotions instinctives, directes : ce qui est une très bonne chose je pense pour cette œuvre.
Tout cela parle à notre vie, à notre journée avec nos enfants, à la perte de nos parents… l’Opéra est un art populaire car il parle de notre existence, il résonne avec qui nous sommes et c’est ce qui crée l’émotion. »
Retrouvez ci-dessous les 10 épisodes de cette série dans laquelle les interprètes de cette production nous présentent leurs personnages (et pour réserver vos places, le lien est ici) :
1. Pelléas et Mélisande par Renaud Doucet
2. Pelléas par Pelléas par André Barbe
3. Pelléas par Pelléas (Lionel Lhote)
4. Golaud par Simon Keenlyside
5. Arkel par Inho Jeong
6. Geneviève par Marion Lebègue
7. Yniold par Judith Fa
8. le médecin par Roger Joakim
9. l’enfance d’un chef
10. interludes