Nikola Šubić Zrinjski, héros patriotique par Ivan Zajc au Théâtre national Croate à Zagreb
Le compositeur croate Ivan Zajc crée en 1876 (alors âgé de 44 ans et à l’apogée de sa carrière) son œuvre lyrique la plus connue : Nikola Šubić Zrinjski. Le compositeur prolifique, surnommé le « Verdi croate » pour son engouement envers la patrie croate et les sujets nationaux, est auteur de nombreuses opérettes (créées durant sa période viennoise, sous l’influence de son ami Franz von Suppé), ainsi que d'opéras écrits principalement dès son retour à Zagreb (Zajc est le fondateur et le directeur de l’opéra de Zagreb). Il s’inscrit donc dans le mouvement de l’éveil national musical qui se répand à travers l’Europe entière au XIXe siècle. Ses deux premiers opéras Mislav (1870) et Ban Leget (1872) traitent de légendes croates, alors que Nikola Šubić Zrinjski est la première œuvre qui puise son contenu dans une source historique. Zrinjski (1508-1566) est encore aujourd’hui considéré comme l'un des plus grands héros de la nation croate, mais aussi hongroise (connu aussi sous le nom de Miklós Zrínyi). Il fut le ban (chef) de la Croatie au sein de la monarchie habsbourgeoise, et commandant du Szigetvár (au sud de la Hongrie). Il est devenu célèbre en Europe après la bataille de Sziget contre l’armée ottomane de Soliman Magnifique en 1566, où il meurt héroïquement, défendant la ville avec ses 2.500 soldats contre presque cent mille forces turques. Le sultan Soliman meurt également, mais non pas dans la bataille (il s’éteint dans son camp la veille du combat).
Cet opéra faisait référence à l’actualité même, puisqu’il fut donc écrit à l’époque où ses deux empires (habsbourgeois et ottoman) existaient encore et étaient même voisins. Deux ans après la création de l’œuvre, l’armée autrichienne occupera le territoire de la Bosnie et Herzégovine, alors administré par l’empire ottoman.
Le sujet historico-national garantit un énorme succès auprès du public de Zagreb lors de la création. Pour le finale de l’opéra, Zajc rajouta une pièce chorale à caractère patriotique "U boj! U boj!" (Au combat ! Au combat !), composée auparavant. La particularité de cet opéra réside également dans le fait que ce fut sa première œuvre lyrique avec un ballet, considéré comme le début de la danse classique au sein du Théâtre national croate.
Nikola Šubić Zrinjski [tragédie lyrique en 3 actes, 8 tableaux]
Compositeur : Ivan Zajc (prononcé Zaïtz)
Librettiste : Hugo Badalić
Lieu de création : Théâtre national croate de Zagreb
Date de création : 4 novembre 1876
3 actes
Personnages :
– Nikola Šubić Zrinjski (baryton), ban croate et commandant de Sziget
– Eva (soprano), son épouse
– Jelena (soprano), leur fille
– Gašpar Alapić (baryton) – officier de Sziget
– Lovro Juranić (ténor) – officier de Sziget
– Vuk Paprutović (ténor) – officier de Sziget
– Soliman le Magnifique (basse), sultan ottoman
– Sokollu Mehmet Pacha (ténor), grand vizir
– Lévi (baryton), médecin de Soliman
– Moustafa, pacha de Bosnie
– Ali Portuk, commandant d’artillerie
– Ibrahim Begler-bey
Argument :
Acte 1 : Tableau 1
Au palais du sultan Soliman le Magnifique, l’empereur ottoman présage sa mort prochaine et demande au médecin juif Lévi de lui prédire le nombre de ses jours restants. Après une estimation de 10 jours, l’empereur souhaite réaliser sa dernière conquête et ordonne de lever toute l’armée et de la diriger vers Vienne aussitôt que possible. Sur la route vers la capitale habsbourgeoise, il est déterminé à conquérir également deux forteresses, dont celle de Sziget en Hongrie où règne Nikola Šubić Zrinjski. Les prouesses héroïques militaires de Zrinjski sont connues parmi les camps adverses et l’entourage du sultan Soliman essaye de le détourner de cette mission risquée – "Dok silni Hrvat taj/Životom Siget brani/Uzet ga nećeš znaj/Ti Sigeta se kani" (Tant que ce puissant Croate défend Sziget de sa vie, sache-le, tu ne le prendras pas. Reste loin de Sziget !). Cependant, cela ne fait qu’embraser l’orgueil de Soliman qui est d’autant plus déterminé pour aller au combat.
Tableau 2 :
Une chambre à la cour de Sziget
Jelena, la fille de Zrinjski, supplie son bien-aimé Juranić de rester avec elle pour prolonger les moments d’amour et de tendresse. Malgré ses protestations, le devoir l'appelle et, restée seule, elle chante une romance où elle pressent les temps troublés : une nouvelle guerre qui lui ôtera le bonheur et sérénité. Sa mère Eva la rejoint et essaie de la consoler, mais le sentiment ténébreux ne quitte pas Jelena. Zrinjski entre et annonce la rumeur de l’offensive ottomane et c’est Alapić qui confirme la nouvelle peu après. Juranić revient et rapporte que l’ennemi s’approche et, avant de partir dans la bataille, il demande la main de Jelena auprès de son père Zrinjski, qui bénit leur amour.
Tableau 3 :
Un jardin dans le château de Sziget
L’armée (chœur) se prépare avec un exercice militaire mené par Juranić et Alapić, pendant lequel on entend les nombreux éloges des héros du camp de Sziget. Eva et Jelena refusent de quitter la ville pour Vienne et décident de rester aux côtés de leurs proches. Dans la scène ultime du premier acte, Zrinjski mène un discours patriotique et enthousiaste qui injecte un élan guerrier à la population belligérante.
Acte 2 : Tableau 4
Le camp turc devant Sziget
Le chœur (peuple ottoman) célèbre l’anniversaire de la victoire de Soliman à Muhač avec des chants et danses orientales (l’acte commence avec un ballet). Les femmes se disputent laquelle saurait mieux conter cette histoire glorieuse mais c'est l'eunuque Timoleon qui la chante. Soliman rentre ensuite avec son grand vizir Sokollu Mehmet Pacha et lui demande d’aller au Sziget négocier la paix avec Zrinjski, puisque l’armée ottomane est beaucoup plus puissante et nombreuse –en retour, il le fera roi de la Croatie. Le grand vizir s’en va malgré lui (il connait l’orgueil et l’obstination de Zrinjski).
Tableau 5 :
Une salle dans le château de Sziget
Zrinjski annonce que les Turcs ont percé les murailles de la nouvelle cité et propose de l’embraser entièrement afin de se retirer dans la vieille cité. Son plan est soutenu par les conseillers et on ordonne l’évacuation de la population. Ensuite le grand vizir entre et salue son adversaire, lui proposant le plan de l’empereur –céder les clefs de la ville et devenir le vizir du sultan. Zrinjski refuse, même sous les menaces de la mort de son fils Djuro, retenu captif par les Turcs. Zrinjski rassemble toute sa cour pour répéter les mots du sermon au grand vizir, qui voue une grande admiration à son héroïsme.
Acte 3 : Tableau 6 :
Le chapiteau de Soliman
Mehmet Pacha et Lévi discutent l’état de santé du sultan qui s’est aggravé depuis le séjour du grand vizir à Sziget. Déçu que les négociations n’aient pas porté leurs fruits, Soliman ordonne la mort de Hamza-bey qui n’a pas terminé le pont sur Drava (où devaient passer les cent mille soldats). Le sultan adresse sa dernière supplication à Dieu, pour qu'il lui donne la force d’écraser Sziget avant de s’étioler. Il commande l’offensive, mais son officier Ali Portuk l’informe que ses forces se retirent. Outragé, il meurt sur le divan. Le grand vizir qui reprend le commandement, promet de battre Zrinjski et d'accomplir la mission.
Tableau 7 :
Souterrain dans le château de Sziget
Eva et Jelena trouvent refuge dans un souterrain du château, pendant la bataille. Eva la quitte pour rejoindre Zrinjski et Jelena restée seule, plaint son destin tragique. Elle rêve d'un chœur de fées qui sont les témoins de son doux et heureux mariage avec son fiancé Juranić. Cette idylle est brusquement rompue par son réveil, où elle voit Juranić s'approcher et l’appeler pour partir avec lui et son père. Elle refuse et lui demande de la poignarder, ne voulant pas périr sous l’épée turque. Il accepte et lui donne la mort, tandis qu’elle tombe dans ses bras.
Tableau 8 :
Jardin du château de Sziget
Zrinjski est conscient de son impuissance devant la force ottomane, mais il garde tout de même la tête haute. Eva demeure avec lui et tous les deux louent le Seigneur d’avoir pris Jelena dans son royaume (c’est Juranić qui les informe). L’opéra se termine par un numéro patriotique "U boj! U boj!" (Au combat ! au combat !) où tout le monde jure d’aller bravement affronter les Turcs et de s’assurer une mort héroïque.