Screaming Divas
Déjà un an que les deux sopranos Sondra Radvanovsky et Keri Alkema ont lancé leur chaîne youtube « ScreamingDivas ». À distance et autour d'un verre, elles y interrogent tous ceux qui, de près ou de loin, font vivre l'opéra aujourd'hui.
Sondra Radvanovsky est sans doute la plus connue des deux cantatrices : en France, elle était Aïda il y a quelques semaines à l'opéra Bastille. Sa réputation comme soprano belcantiste mais aussi verdienne est maintenant bien établie. De l'autre côté de l'écran, Keri Alkema, sa cadette, poursuit une carrière essentiellement américaine (avec des passages cependant à Dijon ou à Toulouse), alternant elle aussi des rôles italiens, entre bel canto et Puccini. Comme beaucoup d'autres elles se trouvent sans travail (et presque sans salaire !), un travail pour lequel elles ont fait beaucoup de sacrifices et qui normalement ne leur laisse que peu de temps. Une pause donc qui déstabilise leur entrainement d'athlète de haut niveau et leur moral : elles évoquent leurs doutes sur l'avenir, leurs angoisses, leurs paresses. C'est donc un verre à la main qu'elles discutent avec leurs invités.
En plus de 60 heures de vidéo, les deux chanteuses ont ainsi discuté avec des interprètes comme Marilyn Horne, Lawrence Brownlee, Angel Blue, Bryn Terfel mais également des directeurs d'opéra, des metteurs-en-scène, des compositeurs, des chefs d'orchestre, des directeurs de castings ou encore des chanteurs pop... Cette variété de profils témoigne d'un souci de sortir des interviews « classiques » de chanteur sur le répertoire, la carrière, etc. Il en bien sûr question mais le rapport de collègue crée une intimité différente ce qui rend cette chaîne youtube remarquable. Si le format est long, les entretiens parfois décousus et le graphisme perfectible ce sont de vraies conversations où se dessinent les coulisses de l'opéra américain.
S'y trouvent ainsi des anecdotes de plateau parfois savoureuses comme les conseils de Sondra Radvanovsky pour bien réussir le saut final de Tosca (un indice : il faut vérifier qu'il y ait un matelas !) ou plus effrayantes comme lorsque Susan Graham perd sa voix dans Les Noces et doit siffler puis chanter une octave plus bas le final. Le télé-spectateur entre par moments dans l'intimité de certaines personnalités comme lorsqu'on découvre la pansexualité de Jamie Barton ou encore les secrets du cellier de Piotr Beczala.
À d'autres moments la conversation porte directement sur le fonctionnement des opéras américains. Le Covid semble mettre en lumière les failles du système culturel : quelle protection sociale pour les musiciens américains ? Qui doit avoir le pouvoir de décision en cette période ? Quel salaire et pour qui ? Quel rôle peuvent avoir les syndicats ? Autant de questions pour lesquelles chacun a sa réponse. On y croise d'autres combats actuels comme celui contre le racisme que mène Lawrence Brownlee ou encore les difficultés rencontrées par Breanna Sinclairé, chanteuse trans.
Plus encore, au détour de ces heures de vidéos, apparaît la dureté de cette vie de chanteur, notamment pour les femmes. À cet égard, les conversations avec Christine Goerke ou encore celle avec Lisette Oropesa font parties des plus intéressantes. La première parce que la soprano américaine, dont on apprend qu'elle a été en colocation avec Sondra Radvanovsky au cours leurs années d'études, explique avec son franc parler les conséquences de sa ménopause ou de sa grossesse sur son corps et sur sa voix. La deuxième parce qu'elle parle des troubles alimentaires qu'elle partage avec Sondra Radvanovsky et Keri Alkema. Toutes les trois racontent la pression exercée pour que leurs corps corresponde aux canons de beauté actuels et comment le stress de leur métier fait surgir parfois leurs vieux démons. Beaucoup de ces artistes parlent de leur suivi psychologique voire psychiatrique. Lorsque Jamie Barton finit une tournée de huit mois à l'hôpital ou doit terminer ses représentations sous stéroïdes, la carrière prend des dimensions impossibles. L'émotion affleure dans ces moments ou encore lorsque Marilyn Horne évoque sa solitude de personne malade et confinée.
Une vision différente du monde de l'opéra, par ceux qui y travaillent, dans cette période particulière d'incertitudes et de doutes mais aussi de réflexions sur les nouveaux défis qui attendent le spectacle vivant. Pour anglophone uniquement :