Wagner : "Tannhäuser" à Bayreuth, 2019...
Une façade du Palais du Festival de Bayreuth
C'est le 25 juillet 2019, pour l'ouverture du Festival de Bayreuth, que fut donnée une nouvelle production de "Tannhäuser", dans le cadre du Festival de Bayreuth. Valery Gergiev dirigeait le Chœur et l'Orchestre du festival, et, parmi les chanteurs solistes, le Heldentenor américain Stephen Gould chantait le rôle-titre et la jeune soprano lyrico-dramatique norvégienne Lise Davidsen celui d'Elisabeth. Pour les autres personnages importants, il y avait l'allemand Stephen Milling (basse) incarnant Hermann, le Landgrave de Thuringe ; l'allemand Markus Eiche (baryton), pour Wolfram von Eschenbach ; et la russe Elena Zhidkova (mezzo-soprano), en Vénus. J'évoquerai les performances de ces différents artistes, mais je laisserai de côté les rôles secondaires des autres Minnesänger intervenant essentiellement pendant le concours de chant de l'Acte II. Par ailleurs, et même si je n'ai pas vu les images de la retransmission (simple écoute sur FRANCE MUSIQUE), un certain nombre de choses ayant été décrites par le commentateur, et en fonction des réactions des auditeurs-spectateurs, j'aurai bien évidemment des éléments à relever à propos de la mise en scène de cette représentation...
Intérieur de la salle du Festival de Bayreuth
J'ai d'abord été très
moyennement satisfait de la direction du grand chef d'orchestre russe
Valery Gergiev, dont c'était la première apparition dans le cadre du
Festival de Bayreuth (1). Ce ne fut qu'au fur et à mesure qu'il prit
relativement en main cette "machine"
extraordinaire qu'est l'Orchestre du Festival de Bayreuth, car
j'avais trouvé par exemple sa façon de mener "L'Ouverture"
de ce "Tannhäuser"
vraiment un peu molle. Mais, je dois nuancer mon propos, et dire que, notamment pour les approches du "Finale" de l'oeuvre, Gergiev amena quand même son
outil orchestral au bord de la fusion mystique. Quant à l'Orchestre
du festival en tant que tel, ainsi que les Chœurs (placés sous la
direction du chef de chœur allemand Eberhard Friedrich) (2), ils
furent, comme d'habitude, absolument remarquables...
Ensuite, en ce qui
concerne les chanteurs solistes, je vais procéder dans l'ordre, en
partant de ce qui m'a semblé le plus satisfaisant et en allant vers
ce qui laissait à désirer. Je n'évoquerai que les cinq rôles de l'opéra les plus importants, pour les personnages de Tannhäuser,
Elisabeth, Vénus, Wolfram von Eschenbach, et Hermann le Landgrave de
Thuringe. La principale satisfaction m'est venue de la performance du
ténor américain Stephen Gould dans le rôle de Tannhäuser. Il y a
maintenant longtemps que ce Heldentenor incarne un bon nombre de
héros wagnériens (comme Tristan), et il faut bien reconnaître que,
malgré son âge (57 ans), sa voix a gardé toute sa puissance, son
énergie, et sa brillance. J'ai trouvé par exemple son "Récit
de Rome",
au moment du retour de Tannhäuser dans les environs du Château de
la Wartburg, un passage extrêmement difficile à interpréter pour
un ténor wagnérien, particulièrement réussi (à la fois
vocalement et dramatiquement). Evidemment, si j'avais pu voir les
images de la représentation, Gould me serait apparu comme déjà trop
vieux pour incarner le personnage amant de Vénus et aimé - d'un
amour sublimé - par Elisabeth...
Puis, je placerai la jeune soprano norvégienne (dont on parle de plus en plus comme la future nouvelle Kirsten Flagstad) Lise Davidsen pour le rôle d'Elisabeth. Elle fut souvent très convaincante, mais, par moment - comment dire ? peut-être que j'attendais trop d'elle, surtout aussi tôt ? -, je l'ai sentie un peu hésitante, ne se donnant pas à fond. Ceci me frappa surtout à l'Acte II, dès "L'air d'entrée d'Elisabeth" ; bon, mais c'était sans doute parce que cet air est pris à froid par l'interprète, qui n'intervient pas à l'Acte I ? Je situerai à ce niveau - voire presque un peu au-dessus (mais ce rôle est plus limité, donc) la basse danoise Stephen Milling dans l'incarnation du Landgrave de Thuringe. Il faut dire que ce chanteur d'une très grande qualité est particulièrement connu avant tout pour ses représentations dans les opéras wagnériens...
Stephen Gould, Lise Davidsen, et... la camionnette...
Enfin, passons à ce que j'appellerais mes déceptions plus ou moins marquées... D'abord, il y eut le baryton allemand Markus Eiche dans le rôle de Wolfram von Eschenbach. J'ai trouvé que la voix de ce baryton manquait de profondeur et que son engagement dramatique était trop limité. Sa "Romance à l'Etoile du soir" de l'Acte III, pour un Wolfram aimant Elisabeth sur la base d'un "amour courtois", me sembla trop terne. En fait, après avoir regardé ce qu'a été sa carrière jusqu'ici (il a 50 ans), je me suis aperçu qu'il chanta souvent dans des opéras de Mozart, et accessoirement de Donizetti. Il n'est donc pas étonnant qu'il ne soit pas vraiment un baryton wagnérien, même si c'est Katarina Wagner, la directrice artistique et directrice du Festival de Bayreuth, qui l'amena à chanter des personnages wagnériens, avec d'abord de petits rôles (par exemple dans "Die Meistersinger von Nürnberg"), puis, une grosse erreur (selon moi), Kurwenal (dans "Tristan und Isolde"), et justement Wolfram (notamment pour ce "Tannhäuser"). La voix de Markus Eiche, à l'opposé de celle de Hendenbaryton (ce qu'on ne demande évidemment pas pour le rôle de Wolfram von Eschenbach), assurant des emplois lourds, est celle d'un baryton léger (ou de baryton-Martin), se situant quasiment comme une voix intermédiaire entre la tessiture de ténor et celle de baryton. L'autre déception ressentie fut celle de la performance que nous a donnée la mezzo-soprano russe Elena Zhidkova dans le rôle de Vénus. Son timbre peu agréable et surtout un vibrato mal assuré ne furent pas du niveau de ce rôle dans cet opéra, qui fut marqué par de très grands noms dans l'histoire de Bayreuth. Mais, laissons à cette assez jeune femme (3) - sachant que de nombreuses incarnations wagnériennes ne sont pas faciles à maîtriser - le temps de progresser, car il ne sert à rien, bien au contraire, de ne lancer que des propos définitivement critiques quant à telle ou telle représentation d'un (ou d'une) artiste...
Reste à dire quelques
mots à propos de la mise en scène de ce "Tannhäuser"
bayreuthien. Il me faut d'abord dire que je n'ai bien sûr pas pu
voir les images de la représentation, comme je l'ai déjà dit. Mais, plusieurs choses sont apparues
par-dessus le son écouté. En premier lieu, les commentaires (moqueurs, ou
amusés, ou... ?) du présentateur de la soirée-radio, Christophe Dilys. Voici, en tout cas, ce qu'il avait dit en antenne,
(pour ce différé). Les pèlerins, dont le chœur apparaît par deux
fois dans l'opéra, et qui est d'une beauté et d'une puissance
mystique progressive absolument sublime, étaient présentés comme
des "migrants"
venant de Syrie et d'Irak ; en soi, à
mon avis, cette allusion à l'actualité ne posait pas vraiment de
problème, même si le metteur en scène voulait bien évidemment
déjà nous montrer l'étendue de son... incontestable "génie"... ! Nettement plus discutable, et même gravissime, à l'Acte III, une
camionnette arrivait sur scène (voir la photographie ci-dessus), à l'intérieur de laquelle - si
j'ai bien compris (!) - Tannhäuser et Elisabeth faisaient l'amour. De la part du metteur en scène (dont je tiens à ne pas savoir le nom !), il y avait là une volonté de transgression par rapport à ce que Wagner voulait montrer dans son opéra. En effet, c'est la pureté de l'amour d'Elisabeth envers
Tannhäuser qui, après la mort de celle-ci, entraîne la repentance de celui qu'elle aime profondément (Elisabeth ayant prié pour lui), et donc le salut du héros. Wagner termine donc son œuvre - intégrant ainsi un concept récurrent
chez lui - celui de la rédemption de l'homme par l'amour de la femme, à travers la mort de celle-ci, puis l'accès des deux principaux protagonistes de l'opéra à un au-delà de retrouvailles de caractère religieux. Ici, avec ce metteur en scène, le contresens est donc total, comme c'est malheureusement le cas pour de plus en plus de
"théâtreux", ne connaissant quasiment rien à la musique
classique en général, et à l'art lyrique en particulier, et qui font passer avant tout leurs propres fantasmes. En second
lieu, on entendit un nombre important de huées à la fin du
spectacle, même si - ce qui est à mon avis fort regrettable - une
partie du public, pour la plupart par snobisme pseudo-élitiste,
avait applaudi à tout rompre... ! La grande question qui se pose est donc la
suivante : comment des chefs d'orchestre de grand renom (ici
Valery Gergiev), et des chanteurs solistes à la forte personnalité,
peuvent-ils accepter de nos jours de ne rien dire face à de telles aberrations ?! Ils
pourraient au moins essayer d'infléchir un peu ces niveaux
incroyables de provocations, et - je pèse mes mots - d'idioties
pseudos-intellectuelles. Pour ce qui concerne le
Festival de Bayreuth, on a aussi un élément de réponse connu :
la dictature pseudo-moderniste des choix des metteurs en scène par
Mme Katarina Wagner, la directrice artistique et directrice
du Festival de Bayreuth suscitée... ! Personnellement, je n'ai qu'un
souhait à formuler : que cette dame s'en aille faire autre
chose, par exemple du théâtre dit "d'avant-garde", et
laisse le monde de l'opéra tranquille...
(1)-
Avant Bayreuth, Valery Gergiev s'était déjà illustré dans des
opéras wagnériens, au Théâtre Mariinsky de Saint-Petersbourg, pour des enregistrements en coffrets CD : un "Parsifal", avec René Pape et Violeta Urmana, en 2010 ; un
"Das
Rheingold", avec René Pape, en 2013 ; un "Die
Walküre", avec Anja Kampe, Jonas Kaufmann, et René Pape, également en 2013
(2)- Le chef de chœur Eberhard Friedrich est à la tête des Chœurs du Festival de Bayreuth depuis l'année 2000. Il a remporté de nombreux prix internationaux, dont certains pour des enregistrements d'opéras wagnériens (ainsi pour un "Tannhaüser", en 2003) et verdiens
(3)- La mezzo-soprano russe Elena Zhidkhova n'a vraiment commencé sa carrière lyrique wagnérienne qu'en 2004, avec le rôle de Waltraute, dans "Götterdämmerung" (du "Ring" wagnérien) au Teatro Real de Madrid, où elle interpréta également le personnage de Brangäne, dans "Tristan und Isolde"