Drames à l'italienne pour les débuts de Kristine Opolais au Teatro Colón
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La soprano lettone Kristine Opolais donne un récital sous le signe de l'opéra italien à l'occasion de sa première visite à Buenos Aires. Ce concert est dans le même temps retransmis dans le monde entier en streaming.
Le drame à l'italienne n'est, par définition, pas toujours là où on l'attend. Nombreux sont ceux qui, faute de pouvoir assister au concert, contraints par la distance ou isolés pour des circonstances liées au contexte sanitaire (l'Argentine, pays de 45 millions d'habitants, connaît actuellement une accalmie qui ne doit pas cacher un nombre de victimes équivalent à celui de la France), n'ont pas d'autre solution que celle du streaming pour assister à ce récital, annoncé dès le mois de mars dernier par les autorités du Teatro Colón.
Accompagnateur remplacé au pied levé
L'avventura de Kristina Opolais en Argentine avait pourtant commencé avec une malchance certaine. Un premier drame, avant que ceux mis en voix ne retentissent sur scène, était alors à déplorer : son accompagnateur, le pianiste et chef d'orchestre Constantine Orbelian (récemment nommé Directeur général et musical du New York City Opera), était victime d'un accident dès son arrivée à Buenos Aires l'empêchant d'assumer son rôle. C'est l'Argentin Marcelo Ayub, directeur d'orchestre (pour Powder Her Face en 2018) et de chœur (dans Armide en 2019), qui le supplée au pied levé dans cette tâche ardue. La précision, l'amplitude et la générosité du geste, le panache parfois (sur "Isoldens Liebestod" de Wagner, extrait du Tristan, dans la transcription de Liszt) caractérisent le jeu de Marcelo Ayub qui a su relever le défi avec élégance dans un contexte contraint dans le temps et sous une pression qui était palpable à l'image. Il complète davantage qu'il n'accompagne Kristine Opolais, tant le courant semble bien passer dans ce duo où l'un et l'autre font preuve d'attention réciproque, d'une complicité musicale et humaine, d'accents, de couleurs, de regards, de sourires aussi, qui font pour une part importante le succès de la soirée.
Sens du drame
La cohérence du programme chanté par Kristine Opolais a de quoi ravir les spectateurs de ce temple dédié à Verdi qu'est le Teatro Colón, puisque des airs d'opéras italiens y sont à l'honneur. Les airs des pièces de Catalini (La Wally), Boito (Méphistophélès) et Puccini (Tosca, Manon Lescaut, Madame Butterfly) s'inscrivent tous sous l'angle du drame. Drame sentimental et amoureux, drame existentiel, la voix de Kristine Opolais se prête particulièrement à l'expression de ces états d'âme presque consubstantiels à l'art lyrique. Le timbre, ourlé et soyeux, est homogène sur toute la tessiture, même si les graves semblent plus sombres. Les projections savent tutoyer les hauteurs tout en gardant une certaine noblesse d'esprit et une forme de spontanéité dans leur articulation. La prononciation de l'italien est ouverte, claire, soit autant de qualités qui rendent la soprano audible. Le sens du drame est continuellement soigné dans l'expressivité vocale qui joue sur la corde sensible, les volumes, les nuances dans le phrasé venant apporter de précieux apports esthétiques.
Les effets vocaux qui portent le drame et son intensité sont en totale complémentarité de l'investissement corporel de l'actrice qu'est aussi Kristine Opolais. L'expression du visage, des mains, les gestes et les déplacements sont autant d'atouts chez celle dont le charisme saute aux yeux dès son entrée en scène sur "Io son l’umile ancella" extrait d'Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea.
Un sens inné de la mise en espace est aussi à mettre à son actif. Son retour à l'occasion du premier bis (sur le "Chant à la lune" extrait de Rusalka de Dvořák) se fait par le fond de la salle et l'air est l'occasion d'un long bain de foule, subjuguant le parterre, avant de remonter enfin sur la grande scène afin d'y recevoir, en même temps que son accompagnateur, de chaleureuses acclamations qui les enjoignent à poursuivre la performance pour deux autres bis.
Crédits photo : © Prensa Teatro Colón / Máximo Parpagnoli.