La Traviata à Quarré les Tombes (Yonne)
Magnifique Traviata à Quarré les Tombes
Chaque année, en juillet, Alexandra Cravero dirige un opéra dans l’église de Quarré Les Tombes . Ce fut, samedi 22 et dimanche 23 l’opéra de Verdi La Traviata.
Renaud Boutin signe une mise en scène originale : quelques marches font passer les acteurs, depuis le public au milieu duquel il leur arrive de se donner la réplique, jusqu’à un plan incliné qui est la scène proprement dite, fermée dans le chœur par un décor érigé couvert d’une toile plastique noire qui reçoit des peintures exécutées à grands traits, changeant avec les scènes sous les gestes précis ou larges d’Emilie Roy. Sur le plan incliné trône un lit présent du début à la fin. Eros et Thanatos s’y inviteront à tour de rôle ; lieu suggéré des débauches de la courtisane en tailleur rouge au premier acte, il devient le nid d’amour des jeunes amants au deuxième, qui croient encore au bonheur possible quand survient le père d’Alfredo enjoignant à la dévoyée de quitter son fils afin de préserver sa famille. La dernière scène du II nous renvoie à la première de la pièce, mais inversée : le lit devient un lieu de douleur où s’exacerbent les conflits. Au III, le lit redevient ce qu’il est dans toutes les mises en scène, mais ici Violetta anticipe sa propre mort et le père vient déjà recouvrir son corps étendu, d’un drap qui la prépare au tombeau, écho funèbre d’un camélia noir qu’il avait offert à sa victime à l’acte précédent. Mais la mort qui s’est emparée de l’héroïne ne se manifeste pas brutalement : pas de toux opiniâtre, à peine un fléchissement du corps qui traduit la fatigue, sauf à la fin, sans empêcher les sursauts désespérés de sa victime, sur le « Morir si giovine » qui précède l’illusoire « rinasce » ! De plus cette mise en scène compte maintes occasions de fouiller le drame et de donner sens : ainsi le portrait de sa fille « pura siccome un angelo » que Germont tend à Violetta est en fait un miroir (objet sans doute peu identifiable vu du fond de l’église archi pleine aux deux représentations !) ! Est-ce à dire que Violetta se souvient alors du temps où elle était encore pure ? Etrange portrait de Dorian Gray inversé lui aussi, mais promesse d’une rédemption si la Tra-Viata consent au sacrifice demandé, salut qui n’arrivera que dans la mort à laquelle la Société bourgeoise des convenances l’a condamnée.
C’est un seul quatuor à cordes (réduction orchestrale nécessaire assurée par l’excellent Pierre-Olivier Schmitt, par ailleurs aux timbales et percussions) qui joue le début du prélude aux commencements des actes I et III ; la tension (et l’attention) est vive dès les premières notes. Chaque instrumentiste de « l’Ensemble du Bout Des Doigts » étant devenu soliste, et tous merveilleux d’exactitude et de musicalité, cette tension ne fléchira pas durant ces deux heures où se joue presque l’intégralité de la partition, faute de chœur professionnel et des comprimarii de sortie à cette occasion. Nous restent les meilleurs, Se-Jin Hwang Alfredo, Christian Rodrigue Moungoungou son père et Roxane Chalard en Violetta. En costumes de notre temps, les messieurs sont parfaits dans leur rôle et l’habitent réellement, montrant un art du chant consommé, variant le volume comme il se doit et généreux en diminuendi et pianissimi parfaitement élégants. Ils sont de beaux partenaires à n’en pas douter.
Roxane ne joue pas, elle EST Violetta ! Verdi disait vouloir "une personnalité élégante, jeune, capable de chanter avec passion"! Il a eu, ces deux jours, tout cela, et davantage ! « Rinasce » avec elle le personnage de Violetta ! La voix d’abord, à la fois chaude, capable de violences et de douceurs, égale sur tout le registre, sachant, dans une articulation irréprochable, donner toute leur force aux mots. L’air « E strano » traduit à merveille tous les sentiments qui se bousculent dans ce cœur qui s’est ouvert à la voix du jeune Alfredo. La ligne de chant est superbe, le souffle interminable, et les colorature de la cabalette finale sont d’une belle précision. Roxane cède à cette tentation bien répandue du contre mi♭terminal mais qui s’en plaindrait tant il est rayonnant ! Les duos du deuxième acte sont d’une intensité bouleversante. Durant l’échange avec ce père d’abord intraitable mais qui finira par s’attendrir quelques instants après la prière « Embrassez-moi comme votre fille », combien de fois serons-nous émus aux larmes ? Le dernier acte nous fait atteindre le sublime ! En chemise de nuit blanche, Violetta, entre le renoncement et la révolte, garde ses dernières forces pour crier « Morir si giovine… » Puis, il s’agira de préparer l’avenir de son Alfredo : « Si une jeune fille dans le printemps de sa vie te faisait donc de son cœur, épouse-la… » Quelle force prend cette prière dans ce que nous livre Roxane ! Merci à cette superbe interprète !
Alain Grivel