Le Magnifique de Grétry par Les Monts du Reuil à l'Opéra de Reims
Direction musicale: Hélène Clerc-Murgier & Pauline Warnier
Mise en scène et scénographie: Stephan Grögler
Lumière: Pierre Daubigny. Vidéo: Louison Costes. Bijoux et images: Jennifer Crupi. Costumes : Patricia Flaget. Stylistique vocale : Antoine Mathy
Note musicale
Par Antoine Mathy, musicologue de la Compagnie Lyrique les Monts du Reuil, doctorant à l’IReMus UMR 8223 (CNRS, Sorbonne Université, BnF, Ministère de la Culture)
Le Magnifique d’André-Ernest-Modeste Grétry est un opéra-comique ou plutôt un drame en trois actes selon la typologie de l’époque (1), sur un livret de Michel-Jean Sedaine. Cette œuvre fut créée le 4 mars 1773 à la Comédie-Italienne à Paris et fut reprise vingt-deux jours plus tard devant le roi à Versailles.
C’est avec Le Magnifique puis avec Céphale et Procris (2), également représenté à Versailles en 1773, que le compositeur s’impose dans l’univers opératique français. Ces deux œuvres lui ouvrent les portes de la prestigieuse Académie royale de musique en 1780.
Genèse de l’œuvre
C’est Madame d'Epinay (3) qui présenta à Grétry le livret du Magnifique que Sedaine avait emprunté à un conte de La Fontaine. Ce sujet avait été précédemment déjà abordé par Antoine Houdard de la Motte et représenté en 1731 à la Comédie-Française (4).
Il semble que de son côté Grétry ait été séduit par l'une des situations de cette histoire, la scène de la Rose de Clémentine, et tout en comprenant la difficulté de mettre en musique une si longue histoire, il n'hésite pas à accepter la proposition de Madame d’Épinay.
La conception du discours lyrique chez Grétry
Afin d’offrir au public une interprétation proche de celle qu’on pouvait entendre au temps de la création de l’œuvre, La Compagnie Lyrique les Monts du Reuil s’est appuyée sur ce que les sources de l’époque peuvent nous apprendre de la conception du discours lyrique chez Grétry.
Le compositeur explique en effet qu’il cherche à exprimer le texte par « un chant pur et aisé » où l’orchestre n’est qu’un « accompagnement accessoire (5) ». Pour lui, la musique est un langage où, pour déclamer naturellement, la ponctuation musicale doit suivre celle du texte : « J’ai dit que la musique est un discours ; elle a donc, comme les vers et la prose, le repos et les inflexions de la virgule, des deux points, du point d’exclamation, d’interrogation et du point final. On aura beau dire et beau faire, la musique vocale ne sera jamais bonne si elle ne copie les vrais accents de la parole, sans cette qualité, elle n’est qu’une pure symphonie (6). »
La déclamation théâtrale lui semble en effet être le modèle que doit suivre le compositeur pour parvenir à transférer toutes les émotions insufflées par le librettiste à travers la mélodie : « Oui, c’est au théâtre français, c’est dans la bouche des grands acteurs, […] que le musicien apprend à interroger les passions, à scruter le cœur humain (7). »
En vérité, Grétry cherche à établir un équilibre naturel entre la mélodie et les paroles afin de donner vie aux personnages et à leurs émotions. En suivant les pas du compositeur, nous avons mis au point une interprétation raffinée, basée sur une déclamation naturelle et une prononciation « douce et claire (8) ». Nous avons privilégié une ornementation moins dense et plus restreinte ; car les ornements propres à l’opéra-comique et dédiés au chant tendre, léger et gai ne sont pas nombreux. A titre d’exemple, on pourrait utiliser des roulades, des passages, parfois des tours de gosier, ou encore des flattés qu’on ne peut placer « qu’avec modération (9) » sur certaines notes longues tels des blanches ou des rondes liées.
Avec un effectif réduit et des voix soigneusement sélectionnées par la direction de la compagnie, nous dévoilons dans cette représentation tous les charmes de la musique de Grétry, considéré comme l’un des grands compositeurs français de la seconde moitié du XVIIIe siècle.
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(1) Ce terme fut employé à la fin du XVIIIe siècle pour désigner les opéras comiques français dont le livret expose une histoire pathétique ou sérieuse. Le Magnifique fut également considérée comme une « Comédie en trois actes en proses et en vers » selon le livret édité Chez Claude Herissant, imprimeur-libraire, rue Neuve-Notre-Dame, à la Croix d'or. Original provenant de : Bibliothèque cant. et univ. Lausanne. Numérisé le : 25 mai 2009. (2) Céphale et Procris est le titre de la première tragédie lyrique de Grétry représentée à Versailles en 1773. (3) Louise d’Epinay (1726-1783), est une femme de lettre française et amie intime de Jean-Jacques Rousseau. (4) Il s’agit de la troisième partie de L'Italie galante ou les contes, une comédie en un prologue et 3 parties (Le Talisman, Richard Minutolo, Le Magnifique), représentée à la Comédie-Française le 11 mai 1731. (5) MULLER, Eugène, Voyages, études et travaux de A.-M. Grétry, racontés par lui-même, Paris, C. Delagrave, 1889, p.300. (6) Idem, p. 126. (7) Idem, p.100. (8) Cf. RAPARLIER, Albert-Auguste, Principe de musique, les agréments du chant, et un essai sur la prononciation et la prosodie de la langue française, Paris, 1772, p. 34. (9) Idem, p. 24.