Matinée de conclusion du Festival de Grafenegg : brillance, humanité, finesse
Le 5 septembre 2021, le Festival international de musique classique à Grafenegg en Basse-Autriche se conclut par la création mondiale du Poème symphonique pour trompette et orchestre « Ypsilon » signé Konstantía Gourzí, et le Triple Concerto en do majeur de Beethoven sous la direction de Rudolf Buchbinder.
À Grafenegg en Basse-Autriche, la fin de l'été est marquée par un Festival international réunissant des artistes mondiaux depuis son inauguration en 2007. La beauté idyllique du château historique de Grafenegg (Schloß Grafenegg) est son jardin luxuriant s'unit harmonieusement aux architectures modernes de l'Auditorium, inauguré en 2008, et avec la Wolkenturm (Tour des nuages), salle de concert en plein air inaugurée en 2007 en présence de Renée Fleming. Cette année, pour la matinée préparant la conclusion du Festival le 5 septembre 2021, la compositrice en résidence depuis 2020, Konstantía Gourzí, dirige la création mondiale de son Poème symphonique pour trompette et orchestre en cinq scènes Ypsilon, opus 83. Enfin une belle reprise (et triomphale récompense) de la création prévue en 2020 qui fut annulée en raison des intempéries !
Le titre du Poème symphonique, Ypsilon, parle en soi : la lettre Y, signifiant « le haut » en grec, représente pour la compositrice un rapport ferme avec la terre, le souvenir et soi-même. La trompette solo, instrument choisi pour incarner ce Y, est censée couvrir cette dualité à la fois dans sa sonorité et ses échanges avec l'orchestre. Le soliste Simon Höfele saisit cette implication à la plénitude : sa maîtrise des textures sonores permet à l'instrument d'occuper tantôt le rôle d'annonciateur, tantôt de déclencher des tempêtes sonores, tantôt d'oracle qui entrevoit les abîmes de l'être. L'œuvre débute par un moment de méditation lyrique dans le registre moyen des cordes et des vents, soutenue par la profondeur et la largeur sonore du registre bas, ainsi que la subtile sonorité voilée du registre grave des cordes. Les mouvements suivants montrent des alternances entre les phases rythmiques et le solo de la trompette qui porte des empreintes du blues. Pendant les phases rythmiques, l'éclat clair et héroïque des percussions, ponctué de temps en temps par des cris des vents dans le registre moyen, évoque une ambiance sonore qui bascule entre l'évocation d'un champ de guerre et les tumultes humains. Or, dans les moments les plus sombres, il arrive que les deux imaginaires deviennent inséparables. L'œuvre est, sans doute, un voyage vers le fond de soi qui confronte sans hésiter les profondeurs de l'être jusqu'à l'inconnu. Retravaillée en plusieurs phases pendant la crise sanitaire, elle est un testament d'une intense exploration artistique et personnelle de la compositrice.
Humain, osé, tumultueux, parfois inquiétant, le Poème symphonique de Gourzí offre un contraste dynamique et stylistique d'avec le Triple concerto en do majeur de Beethoven. Simultanément en charge du piano et de la direction de l'Orchestre Tonkünstler, Rudolf Buchbinder, Directeur musical du Festival, souligne tour à tour la finesse de l'œuvre, de même que sa grandeur brillante, qui rappellent celles de l'opus précédent, la Symphonie Eroica. Les transitions entre les mouvements se font avec aisance, valorisant la continuité de l'œuvre. La masse sonore favorise ainsi l'équilibre entre les registres et dans leur dialogue avec les solistes. Comme soliste, Buchbinder privilégie, conformément à sa manière de diriger, la régularité à l'intérieur de chaque mouvement et entre les mouvements. Modeste et raffiné dans son jeu, il assure la mise en valeur des deux jeunes solistes, Emmanuel Tjeknavorian (violon) et Harriet Krijgh (violoncelle). Tjeknavorian est clair et convaincu dans ses phrasés, soulignant les sommets de la brillance comme le flux des phrases lyriques avec bonne compréhension et sensibilité réfléchie. Krijgh, d'une performance remarquée, combine la sonorité caractéristique de l'instrument au flux de la masse sonore. Elle est patiente et sensible dans les parties lyriques, passionnée aux moments brillants, réceptive et réfléchie dans les échanges avec l'orchestre et entre les solistes. En somme, la performance conclusive de la matinée montre non seulement un respect mutuel sur scène, mais également, et surtout, la volonté de Buchbinder de promouvoir les jeunes talents qu'il a lui-même élus avec tant de soin.