Argument
A Portbou, en Espagne, le 25 septembre 1940, le philosophe juif Walter Benjamin, allemand déchu de sa nationalité et naturalisé français, est épuisé par son long voyage. Il s’installe dans une chambre d’hôtel. Allongé sur son lit, il se souvient de son ami Arthur Koestler qui lui avait conseillé quelques mois plus tôt de fuir l’antisémitisme en traversant les Pyrénées. Ecrivain hongrois antifasciste, il s’était engagé dans la Légion étrangère à Marseille sous l’identité factice d’Albert Dubert en attendant de fuir vers l’Angleterre, étant condamné à mort en Espagne et traqué en tant que juif en France (« Alors, Koestler, on se déguise ? »).
Il pense également à son amour déçu pour la directrice de théâtre et militante marxiste Asja Lacis, rencontrée à Moscou en 1926 et qui l’initia aux théories de Lénine et de Staline. Il l’avait alors prévenu que son activisme la conduirait dans un camp soviétique (« On ne prend pas le Palais d’Hiver avec des névrosés »).
Devant l’angoisse d’Arthur Koestler face à la barbarie allemande, Walter Benjamin avait accepté de partager avec lui ses soixante-deux plaquettes de morphine, cela suffisant à prodiguer une mort douce mais rapide en cas de malheur (« Partez d’ici, sauvez-vous, Benjamin »).
Un garçon juif, Joseph Gurland, vient le voir dans sa chambre d’hôtel et lui apprend que les autorités espagnoles s’apprêtent à les livrer à la France qui les réclame. Effrayé à l’idée d’être ensuite remis aux allemands, Walter Benjamin décide d’ingurgiter les trente-et-une plaquettes de morphine encore en sa possession.
Sa rencontre à Jérusalem avec le philosophe allemand Gershom Sholem, au cours de laquelle ce dernier avait tenté de le convertir au sionisme, défile devant ses yeux sous l’effet de la morphine. Walter Benjamin était alors bien trop épris de Paris pour vivre à Jerusalem (« Ecoute… Ecoute… Ecoute… »).
De même, le poète allemand Bertolt Brecht, lors de leur rencontre à Berlin en 1933, avait tenté de l’attirer au Danemark où lui-même comptait trouver refuge. L’amour de Paris l’avait, là encore, retenu. Il se souvient des disputes idéologiques amicales qui animaient leurs soirées (« Le brouillard se lèvera »).
Sa rencontre avec André Gide, à Paris en 1938, lui revient également. Il espérait obtenir de lui une publication de ses ouvrages et une recommandation pour son processus de naturalisation. Si l’auteur avait sévèrement jugé la qualité de son travail, il avait malgré tout œuvré pour que Benjamin obtienne la nationalité française (« Excusez-moi. Deux heures de piano par jour »).
Le jeune Joseph Gurland revient voir Benjamin, afin de lui livrer la bonne nouvelle : leur fuite est assurée et ils pourront rejoindre l’Amérique. Mais le philosophe, déjà proche de la mort, le renvoie.
Benjamin se souvient alors avoir sollicité Max Horkheimer de l’Ecole de Francfort, espérant obtenir une bourse pour financer ses travaux. Il garde un souvenir amer du mépris reçu à cette occasion (« A Manhattan, à la New School »). Heureusement, Hannah Arendt avait pris sa défense et lui avait obtenu un poste. Il trouva en elle une ardente défenseure pour les années suivantes (« Arrêtez vos commérages »).
Benjamin, l’esprit fuyant, destine ses derniers écrits à Hannah Arendt, qui est à présent aux Etats-Unis après être parvenu à fuir un camp de concentration dont elle garde le souvenir de conditions de survie effroyables. Peu après, Benjamin s’évanouit puis expire malgré les efforts de ses compagnons de route pour le ranimer (« Hannah, ma cousine, ma bonne fée »). Du monde entier, les pleurs de ses amis s’élèvent, gardant en mémoire l’icône de la gauche léguée par Benjamin : l’Angelus novus peint par Paul Klee (« L’ange de l’histoire »).