En Bref
Création de l'opéra
L'adaptation de la pièce de Sardou
En 1889, Giacomo Puccini envoie une lettre à son éditeur, Giulio Ricordi, souhaitant obtenir les droits pour adapter La Tosca de Victorien Sardou. Sans réponse de Ricordi, Puccini laisse le projet de côté jusqu'en 1895, année où il assiste à une des représentations de la pièce avec Sarah Bernhardt dans le rôle-titre. Dès lors, il fait tout pour obtenir les droits de la pièce de Sardou, qui accepte que sa pièce soit adaptée.
Tosca est le troisième opéra de Puccini dont le livret a été écrit par Giacosa et Illica, après Manon Lescaut (1893) et La Bohème (1896). Au cours du travail d'adaptation, les librettistes suppriment de nombreux personnages et resserrent l'action sur trois actes au lieu de cinq, afin d'accentuer la tension dramatique, qui monte sans interruption jusqu'au dénouement. Puccini remaniera toutefois sensiblement le livret initial, notamment pour créer le monologue final de Cavaradossi, qui est aujourd'hui l'un des airs les plus connus de l'opéra.
La création à Rome
Ricordi choisit la ville de Rome, lieu de l'intrigue, pour la création de l'opéra. Manon Lescaut ayant établi sa réputation en tant que compositeur d'opéra dans toute l'Italie, Tosca est très attendu. De nombreuses personnalités assistent d'ailleurs à la première, parmi lesquelles Mascagni, Cilea et Pizzetti.
La première a lieu en 1900. L'Italie connait alors une période de troubles socio-politiques, une suspension des libertés publiques étant même décidée suite à des mouvements sociaux de grande ampleur. Parallèlement, le pays assiste à une montée en puissance du mouvement anarchiste, qui aboutit à l'assassinat du roi Humbert 1er. Malgré les menaces anarchistes visant directement le Théâtre Costanzi, la première représentation eut lieu le 14 janvier 1900 après avoir été reculée d'une journée. L'opéra ne reçut pas le succès escompté par Puccini lors de la création : les critiques furent mitigées (principalement en raison de la violence qui sous-tend l'intrigue), mais le public réclama plusieurs rappels. Par la suite, l'opéra connut une meilleure réception à Rome au fil des représentations et son succès se confirma lorsque Toscanini le reprit à la Scala de Milan le 17 mars de la même année.
Clés d'écoute de l'opéra
Tosca : un opéra vériste ?
Souvent qualifié de « vériste », Tosca présente des points communs avec les opéras de ce courant. Cependant, Puccini n'a jamais revendiqué son appartenance à ce courant. Si Manon Lescaut et La Bohème, ses précédents opéras, s'approchent également par certains aspects du vérisme, les opéras ultérieurs du compositeur s'en éloignent significativement.
La peinture réaliste des sentiments offre aux personnages une profondeur psychologique exceptionnelle, en particulier pour le personnage éponyme : Puccini va plus loin que pour ses précédentes héroïnes (Manon dans l'opéra éponyme Manon Lescaut, Mimi dans La Bohème) dans l'ampleur des phrases vocales, qui mobilisent tous les registres du soprano dramatique (grave, médium, aigu). En ce sens, le rôle de Tosca préfigure les grandes figures féminines pucciniennes comme Cio-Cio San (Madame Butterfly) ou Turandot. La violence des passions qui pousse les protagonistes au meurtre peut rappeler le drame qui se joue dans Pagliacci de Leoncavallo, avec une configuration triangulaire entre Canio, sa femme Nedda et Silvio, son amant. Enfin, Tosca se rapproche des livrets véristes par sa concision et son efficacité (l'intrigue a été simplifiée par les librettistes afin de tenir en trois actes au lieu de cinq pour la pièce originale).
Dans le traitement orchestral, Puccini ancre son opéra dans la réalité. Le compositeur se renseigne auprès d'Andrea Meluzzi, musicien du Vatican, sur les hauteurs précises des cloches de Saint Pierre de Rome en décembre 1897 et va lui-même les écouter depuis les remparts du château de Sant'Angello pour rendre précisément leur sonorité dans son troisième acte. De même, il compose la chanson du jeune berger du début de l'acte III grâce au poète romain Luigi Zanazzo, qui lui fournit un texte seyant au personnage. Le souci du détail sonore confère une dimension authentique comparable aux opéras véristes de Mascagni et Leoncavallo tels que Cavalleria rusticana (1890) ou Pagliacci (1892).
En revanche, l'intrigue se déroule en 1800 pendant l'invasion napoléonienne qui se déroule en arrière plan de l'intrigue, alors même que les compositeurs véristes cherchent à éliminer les sujets historiques. Tosca se situe donc à la frontière du vérisme, sans obéir complètement aux caractéristiques de ce courant.
D'un point de vue musical, Puccini s'inspire du modèle romantique germanique (le musicologue Julian Budden considérant même que Puccini n'a jamais été aussi proche de l'opéra wagnérien que dans Tosca) alors même que les compositeurs véristes cherchent à éviter ces influences. Ainsi, Tosca est composé tel un drame continu (ce qui est déjà le cas des précédents opéras de Puccini), la présence de leitmotiven (figures musicales des thèmes ou des personnages) allant dans le sens de cette unité dramatique. L'écriture arioso, à mi-chemin entre le récitatif et l'air et le parlé / chanté, permet d'atténuer les ruptures artificielles entre les numéros traditionnels (récitatifs, airs, ensembles). Cette fluidité dans le déroulement musical et dramatique n'a pas empêché de détacher quelques airs dans Tosca, qui sont à présent entrés dans l'histoire de l'opéra : « Recondita armonia » (Cavaradossi, acte I), « Vissi d'arte » (Tosca, acte II), « E lucevan le stelle » (Cavaradossi, acte III).