En Bref
Création de l'opéra
Alcione est une tragédie lyrique en un prologue et cinq actes, composée par Marin Marais (1656-1728) et représentée, avec succès, le 18 février 1706 à l’Académie Royale de musique (nom originel de l’Opéra de Paris). Le livret d'Alcione est écrit par Antoine Houdar de La Motte (1672-1731), l'auteur qui a su apporter le ballet à l'Opéra (un élément fondamental de la tragédie lyrique). Celui-ci rédigea en effet le livret des premiers chefs-d'œuvre d'opéra-ballet : L'Europe galante (1697) et Les Fêtes vénitiennes (1710) d'André Campra, mais aussi des ouvrages de Lully et Destouches.
Tragédie lyrique
La Tragédie lyrique est un genre musical développé par Lully, compositeur de la Cour puis Surintendant de la musique royale en France. D'origine italienne, Lully devient français et construit un genre qui doit faire resplendir l'art de sa nouvelle patrie, un opéra associant la musique avec deux traditions qui font la gloire de la France : le théâtre classique (de Racine et Corneille) ainsi que le ballet (Lully, comme Louis XIV, est danseur). L'opéra italien en trois actes qui met en avant le beau chant (bel canto) est transformé en une œuvre d'art totale de 5 actes (typique des tragédies, avec la noblesse de langage et de thème). Alcione est ainsi une véritable tragédie lyrique avec son thème mythologique associé aux sentiments et épisodes déchirants (le tout pour la gloire du Roi). Alcione est la troisième tragédie lyrique sur les quatre opus de Marin Marais : Alcide (1693) est composé en collaboration avec l'inventeur du genre, Louis Lully, avant Ariane et Bacchus (1696) et Sémélé (1709) qui suit Alcione de trois années. Les autres compositeurs ayant prolongé l'initiative de Lully avec des tragédies lyriques sont Marc-Antoine Charpentier pour sa Médée (1693), André Campra, André-Cardinal Destouches, Henry Desmarest notamment, avant que Jean-Philippe Rameau ne révolutionne le genre.
Tempête de la renommée
Alcione est un grand succès, donné sans discontinuer depuis sa création en 1706 jusqu’en 1771. L’œuvre impressionne d’emblée par ses dimensions, avec 32 choristes et 23 danseurs lors de la première représentation. Le chœur des matelots du IIIe acte et la tempête du IVe acte sont immédiatement et durablement couronnés de succès, au point que Louis XIV fait exécuter la célèbre Tempête en ouverture d’un bal dans son château de Marly en 1711. L'opéra, notamment ses danses de la Tempête et du Caprice, est repris avec réussite et parodié tout au long du XVIIIe siècle. Cette Tempête restera durablement célèbre et le chœur des matelots sera même repris pour le chant de Noël anglais Masters in This Hall (composé par William Morris autour de 1860). Alcione et sa tempête éblouissent les auditoires par les figuralismes puissants (représentations musicales des éléments déchaînés).
C’est aussi le génie français de cette œuvre qui en fit le succès. Toutefois, cette qualité même en provoquera aussi l'oubli : l'opéra italien récupère son hégémonie lors des dernières productions d’Alcione en 1771.
Clés d'écoute de l'opéra
Deus ex machina
Tragique, l'histoire d'Alcione n'est qu'une suite de malheurs et de terreur qui culmine dans la mort cruelle et injuste des héros. Mais cette tragédie antique est réinterprétée par le Classicisme chrétien qui lui rajoute donc une fin heureuse et morale : ceux qui ont souffert avec sincérité sont ressuscités par un Dieu sorti de la machine théâtrale. Cette relecture est inscrite dès les fondations de l'Opéra en tant que genre : dans l’Orfeo (1607) de Monteverdi, premier chef-d’œuvre du genre, l’histoire antique est changée pour qu’Orphée monte aux cieux avec Apollon, racheté de ses faiblesses. Il en va de même pour Ariane (1608), sauvée de sa trahison envers sa patrie par sa très chrétienne repentance sacrificielle, et pour bien d’autres opéras dans une convention ininterrompue.
Enjeux politiques
Ce Deus ex machina, cet Apollon qui gouverne les hommes et les éléments pour sauver la situation, est en fait une figure de Louis XIV. Comme la tragédie théâtrale, la tragédie lyrique est aussi une forme politique : elle valorise le roi sous les traits d’un Dieu vainqueur et magnanime. Alcione doit ainsi être compris avec son sous-entendu politique : Apollon y prône la paix et résout les conflits terrestres, comme Louis XIV à l’époque souhaite gouverner l’Europe et y apporter la paix (notamment dans le contexte de la guerre d’Espagne). Cette révérence royale dans l’Opéra rappelle que le compositeur (comme l’auteur) est encore un serviteur à l’époque.
De la viole à l’Opéra
Marin Marais est un célèbre virtuose et compositeur, surtout connu à travers ses œuvres instrumentales pour viole de gambe (environ 600 pièces), et reconnu dans l’époque contemporaine par le livre Tous les matins du monde (roman écrit par Pascal Quignard en 1991 et adapté la même année en film par Alain Corneau). Toutefois, suivant le modèle de Lully, son maître et chantre de l'Opéra classique français, Marin Marais devient même chef d'orchestre permanent de l'Académie Royale de Musique et il compose quatre opéras, Alcione étant son plus célèbre. Avec cet opéra, Marin Marais montre sa maîtrise de l’orchestration, donnant de nombreuses indications d’instrumentation alors que les partitions de l’époque consistaient en une ligne de basse dont les notes supplémentaires pour former les accords étaient chiffrées, mais sans préciser quel instrument jouait quelle note (charge aux exécutants de se répartir l’harmonie).