Roméo et Juliette à Versailles : Gilberto par Nicolò Balducci
Les interprètes de cette nouvelle production rappellent (dans notre article de présentation grand format) combien le livret diffère de la version de Shakespeare. « Au point qu’on ne sait pas si mon personnage Gilberto est associé aux Capulet ou aux Montaigu (s’étonne Nicolò Balducci qui l’incarne à Versailles) ! C’est un ami des deux familles, et comme il y a beaucoup moins de personnages dans cet opéra, c’est un peu comme une combinaison de Mercutio et du prêtre qui sont absents. Mon personnage veut ainsi faire la paix. Il souhaite que Roméo et Juliette tombent amoureux, il est présent à leur rencontre et organise leur mariage, mais c’est aussi lui qui donne le poison à Juliette, qui planifie le stratagème qui finira si mal. Mon personnage est ainsi secondaire mais très important dans cet opéra, c’est lui qui fait les liens de l’histoire. C’est donc une grande responsabilité pour moi. »
Laurent Brunner, Directeur de Château de Versailles Spectacles et qui a engagé Nicolò Balducci après avoir présidé le jury du Concours de chant Renata Tebaldi à San Marino qui lui a attribué le premier prix l’année dernière, confirme cette importance : « Souvent on confie les seconds rôles à des chanteurs de seconds niveaux, ce qui n’a aucun intérêt vue leur place essentielle, initiatrice même souvent (donc lorsqu’ils ne sont pas très bons, on se dit d’emblée que l’œuvre est mauvaise). C’est comme au cinéma : les seconds rôles peuvent être tout à fait prioritaires et constitutifs d'une œuvre, plus qu’on ne le croirait. Le second rôle a un rôle de premier plan dans le lyrique : avoir de bons seconds rôles est un gage de bon niveau global pour la partition. Balducci et tous les autres sont donc très bons (sinon nous ne les aurions pas pris). C’est d’ailleurs lui qui fera l’air de Romeo pour la présentation de notre saison. Il a aussi la voix pour Roméo, dont il a les aigus (Fagioli ayant cette particularité d’avoir des aigus très prononcés et des graves abyssaux). »
« Dès qu’il faut tout faire que ces deux familles arrêtent de se battre et fassent la paix, me voilà, poursuit Nicolò Balducci :
Gilberto chante alors “Fermate: cessate, e qual furor reo la pugna destò” (Halte : arrêtez, Quelle rage coupable Ce duel a-t-il éveillé ?). C’est un moment très important, où il intime la paix, où il en appelle à la concorde et à l’amour : où il plaide pour la réunion de ces jeunes gens (qu’il voudra voir mariés) et de ces deux familles rivales. Je dois donc trouver une solution dramatique et vocale pour le rendre assez assertif, vigoureux et même rude mais dans son message de concorde. Je le vois tel un ambassadeur, avec l’autorité associée, mais un ambassadeur de paix et d’amour. Je pense de fait à rendre le son plus coperto (couvert) pour souligner que tout ira bien, déployer son aura, intimer la paix.
Comme pour Franco Fagioli avec Roméo, je suis un contre-ténor qui chante un rôle écrit pour un castrat et je sens aussi qu’il y a de nombreux endroits de liberté en termes d’ornements, de cadences, de coloratures. On peut vraiment exprimer sa fantaisie, réunir tous ses moyens, profiter de cette écriture qui laisse beaucoup de place pour ajouter, compléter l'opéra avec ses propres idées. C’est quelque chose que j’apprécie toujours.
Le rôle est au milieu du registre aussi car le compositeur laissait au chanteur le choix d’aller plus haut, selon ses capacités et envies expressives, or je suis un contre-ténor aigu, j’ai donc la grande chance de pouvoir jouer avec les cimes, et j’irai ainsi en altitude avec mes ornements et variations.
La tessiture est très étrange car c’est écrit pour un soprano (castrato) mais pas un vrai soprano : ce n’est pas si aigu. C’est un peu la tessiture de Rosina dans Le Barbier de Séville, un peu celle de Roméo qui n’est pas si aigu (en fait je peux faire les deux), c’est plutôt soprano secondo (soprano II), contre-ténor aigu, contre-ténor-soprano.
Ce que j’aime beaucoup, dans mes arias et les ensembles, c’est le fait que le legato est vraiment impressionnant et aussi spécialement avec le texte : fort avec des moyens simples, permettant au public d’apprécier directement la musique et de comprendre directement le drame, d'atteindre directement à l’essentiel de cette écriture, de cet opéra. Les récitatifs coulent vraiment avec le texte, et cela me rappelle Mozart (récemment je chantais Les Noces de Figaro). Les récitatifs sont vraiment liés à la période baroque allant dans cette direction, avec une vraie parole. L’italien étant ma langue maternelle, je vais servir ce texte, la combinaison des mots et de la musique composant ainsi le drame. »
Notre article grand format présentant cette production à Versailles vous attend ici, et vous pouvez retrouver tous les épisodes de cette série d’Airs du Jour :
1. Roméo par Franco Fagioli
2. Juliette par Adèle Charvet
3. l'amour de Juliette et Roméo
4. la mort de Roméo et Juliette
5. Gilberto par Nicolò Balducci
6. Mathilde par Florie Valiquette
7. Everardo par Krystian Adam
8. Teobaldo par Valentino Buzza
9. Orchestre Royal
10. Chœur Royal