Andromaque à Saint-Etienne : l’Orchestre
« Le langage de Grétry a une grande subtilité. Il était conscient du défi consistant à composer d’après une tragédie de Racine. Il le dit dès l'avertissement inscrit sur la partition regrettant des "beautés sacrifiées" mais concédées pour "servir le génie" de Racine, en opérant des retranchements et des ajouts nécessaires à la mise en musique.
Le langage de la partition est très détaillé, idiomatique, avec des registres différents selon les personnages et à qui il s'adresse (au peuple ou à l'amante par exemple).
Dès les 20 premières mesures, Grétry définit le credo esthétique du drame à la fois d'État et humain. Les deux mesures de marche ont presque un style militaire, puis suivi par une chose très rare : un unisson syncopé (les instruments dans le grave font la même ligne que les violons mais à un demi-temps de décalage). Le contexte est militaire mais avec un enjeu de l'âme et des passions, de ce qu'il va se passer, les décalages amoureux et politiques.
Et puis suit un style italien (qui ressemble presque littéralement à des Symphonies de Francesco Durante 40 ans plus tôt, mais ici en commençant très haut et finissant très bas, montrant l'écroulement dramatique.
Si on lit la musique comme à l'époque, ce langage était symbolique, emblématique, en lien avec le sens du texte et du drame, par des références connues des auditeurs.
Pour en montrer la richesse je pourrais simplement parler du début d’une scène, la quatrième du premier acte qui est en récitatif. Andromaque entre annoncée par trois flûtes qui l'accompagnent ensuite. Cette couleur devient celle de l'esprit d'Andromaque, or Grétry parle explicitement de la nécessité d'établir des thèmes ou couleurs d'orchestre qui identifient les différents personnages (bien avant donc les leitmotivs de Wagner).
Ces trois flûtes donnent au personnage d'Andromaque une couleur, toute la profondeur de sa dimension humaine. Et toute la profondeur, plurielle de son caractère : elle est reine mais n'a plus rien (c'est d'autant plus éloquent que Pyrrhus est pour sa part accompagné par toutes les cordes de l'orchestre, traduisant son pouvoir).
La grandeur de Grétry consiste à peindre tout cela dans cette synthèse de simplicité exemplaire.
Cette recherche d'authenticité des sentiments de la tragédie par un choix de simplicité dans les moyens musicaux est très fort pour moi, très efficace. Le grand risque serait d'y voir un simple alignement de formules galantes et classiques. La simplicité s'allie ici au contrepoint et au plus grand héroïsme, il faut une invention constante, phrase par phrase, mesure par mesure.
Cette œuvre est méconnue et ce sera une grande surprise à Saint-Etienne, c'est un très grand fruit de la Réforme musicale. D'ailleurs Grétry aimait beaucoup Gluck, même si ce n'était pas réciproque. »
Mais n'est-ce pas aussi l'histoire même d'Andromaque souvent ainsi résumée : Oreste aime Hermione. Hermione aime Pyrrhus. Pyrrhus aime Andromaque. Andromaque aime Hector qui n'est plus, et leur enfant qu'elle protège.
Rendez-vous à l’Opéra de Saint-Etienne les 8, 10 et 12 mars 2023 pour apprécier cette nouvelle production réalisée par les ateliers stéphanois et mise en scène par Matthieu Cruciani
Retrouvez les autres airs de notre série :
1- Le rôle-titre
2- Les larmes d'une mère
3- Pyrrhus
4- Pyrrhus et Andromaque
5- Hermione
6- La mort d’Hermione
7- Oreste
8- La fin d’Oreste
9- Le chœur
10- L’Orchestre