Plongée insolite dans le XVIIIe siècle européen grâce au cor merveilleux du postillon
Sous la direction artistique de la violoniste Alice Julien-Lafferrière, l’Ensemble Artifices reçoit le soutien du Musée de la Poste pour partager une double passion : les musiques du XVIIIe siècle et la poste. Un enregistrement des éditions Seulétoile à déguster sans modération.
Alice Julien-Lafferrière partage une histoire commune étonnante et pourtant fascinante entre la musique et le courrier postal. Bien que très différent aujourd’hui, la communication a toujours été fondamentale, particulièrement pour les cours royales et princières, encore plus lors des guerres. Accessible au public à partir du XVIIe siècle, elle est évoquée par de nombreux compositeurs tels Jean-Sébastien Bach ou Antonio Vivaldi. Par cet enregistrement audacieux et néanmoins sérieux, l’Ensemble Artifices (que nous avions découvert avec la Cantate des paysans de Bach) et les éditions Seulétoile proposent un véritable objet de redécouverte du quotidien européen, aujourd’hui passé et oublié, qu’étaient le postillon et son cor.
C’est d’abord le coffret que l’on découvre. Un coffret qui prend la forme d’une petite boîte de chocolat au contenu déjà visuellement original et savoureux. Dans cette élégante enveloppe, pas de livret à proprement dit mais 15 cartes dont le recto offre une illustration ou une gravure et dont le verso propose de très intéressantes informations historiques en français et en allemand. Pour expliquer de manière insolite le contexte de la composition du Cappricio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo BWV 992, on peut même lire une délicieuse lettre imaginaire de Jean-Sébastien Bach aux musiciens de l’ensemble. Deux marque-pages et un poster des stations de poste du Saint-Empire romain germanique et de ses régions adjacentes complètent cette précieuse documentation élaborée par Lucien Julien-Lafferrière et mise en page par Frédéric Moret. C’est ainsi que le mélomane est équipé et fin prêt pour accompagner les missives au temps de la poste à cheval sur les routes européennes du XVIIIe siècle. Si le coffret séduit dès le premier coup d’œil, l’interprétation musicale est à la hauteur des espérances et charme immédiatement.
La première partie de l’enregistrement fait d’abord entendre des œuvres un peu plus chambristes, offrant ainsi l’occasion à Alice Julien-Laferrière de démontrer particulièrement ses talents de violoniste. Notamment dans l’interprétation de la Sonata prima a violino solo e basso de Francesco Maria Veracini, son instrument se fait très éloquent. L’agilité de la musicienne et le timbre délicat de son violon baroque, captés avec précision et équilibre par Marie Delorme, permet d’entendre véritablement son geste musical. Ainsi expressif et non démonstratif, les élans des phrasés se font le plus souvent sautillants, voire guillerets. Le second mouvement de la sonate Giga Postiglione permet d’entendre en introduction un instrument aujourd’hui fort oublié et pourtant extrêmement présent dans le quotidien des habitants de l’Europe centrale de l’époque Baroque : le cor de postillon. L’iconographie n’est pas avare en évocation de ce véritable symbole de celui chargé du transport des missives, qui lui ouvrait les portes des villes à toute heure et le dispensait de droits de passage ou de douane. Il a fallu tout de même le travail attentif du facteur d’instruments anciens Patrick Fraize, en étroite collaboration avec le talentueux cornettiste Jean-François Madeuf, pour recréer avec minutie deux de ces instruments. L’appréciation du résultat sonore manifeste la qualité de ces reconstitutions : un son net, voire tranchant mais avec la rondeur du cuivre, et surtout une justesse sans faille. On peut également entendre cet instrument dans l’Aria di postiglione, extrait du tout à fait délicieux œuvre BWV 992, touchant adieu musical de Jean-Sébastien à son frère aîné Johann Jakob en 1704, parti rejoindre l’orchestre de la garde d’honneur de Charles XII de Suède. On peut également saluer les interventions du claveciniste Kazuya Gunji, au touché et aux lignes très clairs.
S’ils sont limités à un saut d’octave, les petits cors de poste sont cependant le porte-voix, non seulement d’une pratique courante ou d’un imaginaire autour du postillon, d’évènements et de situations politiques. On peut alors entendre, en deuxième partie d’enregistrement, la cantate Der Raritaeten Mann (Le Montreur de curiosités) de Johann Samuel Endler, dans laquelle le cor semble acclamer la beauté de Marie-Thérèse Habsburg Lothringen. Cette œuvre de circonstance permet d’apprécier particulièrement la présence et la voix du jeune baryton Romain Bockler. Son interprétation est toujours empreinte d’une élégance, voire d’une noblesse, adéquate grâce notamment à la chaleur de son timbre. Le charme de ses phrasés doit également au soin qu’il porte à la langue – même si elle est un allemand différent du dialecte de Darmstadt où fut créé la cantate et de celui usité aujourd’hui, afin de donner l’illusion que le narrateur est un monteur de curiosité ambulant venant de loin. Il se fait surtout narrateur, jouant par les intonations de son texte, durant les airs et les récitatifs, accompagné avec attention et belle réactivité par le continuo. L’auditeur peut être amusé par son utilisation de voix de fausset, pour se moquer de souveraines passés ou ennemies de la princesse héréditaire, duquel il revient à sa voix de poitrine avec une parfaite aisance. Tout en restant noble et élégant dans la conduite de son chant, le chanteur offre, en sorte de bis, un amusant « Postillon » extrait des Chansons de mon village de Jac Nam.
Si l’auditeur souhaite poursuivre le charme de ce voyage musical, l’ensemble propose de découvrir d’autres œuvres en vidéo sur le site du label. Un enregistrement-objet également donc numérique et complet qui, au-delà de sa qualité musicale, se veut d’aller jusqu’au bout d’un projet de transmission de passions.