Célestes harmonies d’Hildegarde von Bingen au festival Musica
Le danseur François Chaignaud et la musicienne Marie-Pierre Brébant s’emparent de l’œuvre de la compositrice médiévale Hildegarde von Bingen, créant un spectacle hors du temps, à la recherche de nos harmonies présentes.
C’est lors de leurs régulières découvertes et pratiques des répertoires anciens que François Chaignaud et Marie-Pierre Brébant ont lentement pris possession des manuscrits de la bénédictine musicienne Hildegarde von Bingen (1098-1179). Ils ont parcouru les 69 psalmodies grégoriennes de sa Symphonia Harmoniæ Cælestium, écrites au milieu du XIIe siècle, et accompagnent les spectateurs lors de leur chemin méditatif, voire mystique.
Accueilli dans la salle des fêtes de la Bourse de Strasbourg, le public du festival Musica s’installe sur des petits siège-dossiers, tout proches du sol. Ainsi mi-assis et mi-allongés, les spectateurs sont disposés en demi-cercle autour d’un petit décor, un pont-estrade sur et autour duquel évoluent les deux artistes. Une atmosphère intimiste s’instaure de suite. Les lumières de Philippe Gladieux et d’Anthony Merlaud y participent beaucoup, jouant avec les couleurs et les intensités sans que l’on ne s’en rende vraiment compte. Il faut également hautement saluer la sonorisation de Christophe Hauser : malgré les déplacements du chanteur ou de l’instrumentiste, tous deux sont toujours très audibles alors que la perception spatiale naturelle est préservée. La plus grande qualité est souvent d’être efficaces tout en étant imperceptible ; les lumières et la sonorisation en sont ici des exemples parfaits.
Musicalement, François Chaignaud et Marie-Pierre Brébant s’approprient le geste de Hildegarde et ne recherchent pas à reconstituer une pratique médiévale. L’œuvre apparaît donc comme étant résolument moderne, malgré leur apparence primitive : torses nus, avec une sorte de pagne et, surtout, des tatouages de textes en latin, de partitions, de neumes et d’enluminures – œuvres de Loïs Heckendorn. S’il est d’abord danseur et chorégraphe, François Chaignaud sait aussi chanter. Si parfois et rarement, la difficulté du tempérament pythagoricien et de l’endurance (près de 2h20 sans discontinuité) trahit de légères fatigues dans la justesse, on apprécie la chaleur de ses graves et la maitrise de son souffle. La technique vocale est sans doute moins experte dans les médiums-aigus au niveau du soutien, mais la voix de tête, tout le long de la seconde moitié de spectacle, ne laisse entendre aucune faille. L’auditeur savoure l’articulation soignée qui fait comprendre, même au non-latiniste, toute la poésie des textes. Si les mouvements sont souvent économes, c’est le corps qui est surtout présent, avec toutefois quelques improvisations dansées, dans toute la salle jusqu’au milieu même du public semi-allongé.
Marie-Pierre Brébant accompagne son presque-double de la bandura, instrument à cordes d’origine ukrainienne, hybride du luth et de la cithare, paraît pour se joindre à la voix. Son introduction, ses interludes et sa coda sont des moments d’apaisement qui placent l’auditeur dans un état proche de la lévitation ou d’extase.
Nombreux sont les spectateurs qui ont fermé les yeux pour apprécier ce voyage intérieur, à la recherche d’un présent hors du temps.