Concert dans le noir
Le public du Festival Concerts d'Automne suit les choix de son Directeur Alessandro di Profio les yeux fermés. Littéralement.
Le personnel remet à chaque spectateur un masque, avant même d'entrer dans la salle du théâtre Olympia (Centre dramatique national de Tours) et le mène par la main jusqu'à son siège.
L'expérience est ainsi plurielle : à la fois esthétique et humaniste... et bien terre-à-terre. Avant d'apprécier la musique, il s'agit déjà en effet de monter les marches de différentes tailles et profondeurs sans buter (en faisant confiance au guide et au lieu), d'avoir un aperçu des complexités pratiques rencontrées par les non-voyants au quotidien et dans l'accès à la culture.
Sur le plan de l'expérience esthétique (esthésique puisque concernant la perception), la privation du sens visuel semble multiplier celle de l'ouïe, au moins dans le cadre de cette expérience collective. Le public entier ayant ainsi les yeux bandés (et étant informé que les deux musiciens sur scène jouent dans la pénombre), une écoute collective particulière s'installe entre le public et les musiciens mais aussi entre les deux musiciens et entre les membres du public. La salle est d'autant plus sensible aux deux sonates et fantaisie de Mozart, à la Sonatine de Schubert, au jeu de Justin Taylor et Julien Chauvin, à leur entente ais aussi à leurs moments de mésentente, à leur naturel mais aussi aux passages un peu déchiffrés à l'aveuglette.
Le public est aussi infiniment plus sensible aux nombreux bruits parasites, froissements de masques (certains avouant même, à l'issue de l'expérience, avoir triché en ôtant leur bandeau, sous les huées sonores mais amicales de la salle). Une respiration très profonde devient comme un troisième interprète du concert, installant un puissant suspens en contrepoint dans les passages calmes de l'œuvre : la respiration deviendra-t-elle un véritable ronflement ? Un vrombissement soudain incommode aussi l'auditoire jusqu'au moment où, invité à lever son masque à la fin du concert, il s'aperçoit que dans cet événement caritatif (les fonds sont destinés à l'achat d'une nouvelle machine California Optos, améliorant le diagnostic rétinien pour le CHU de Tours), le vrombissement venait d'une machine de soin pour traiter l'une des spectatrices. De quoi se souvenir, piteusement, qu'un son ne devient bruit que lorsqu'il est parasite malintentionné.
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