Les quatre muses du Trio Marie Nodier
Interprètes
Il conviendrait presque de considérer le Trio Marie Nodier comme un quatuor tant le nom choisi par ces trois jeunes femmes renvoie à une personnalité du XIXe siècle qui semble vibrer et revivre dans la passion et la sensibilité qui animent les trois membres fondateurs de ce trio.
Qui connaît aujourd'hui Marie Nodier (1811-1893) ? Elle fut la fille chérie, adulée, de Charles Nodier (1780-1844), lui-même figure centrale du romantisme français : rappelons simplement que lors de la fameuse bataille d’Hernani qui fit rage en février 1830, le cri de ralliement des fleurons du romantisme français fut « Nodo Hierro », jeu de mots (signifiant « nœud de fer ») créé à partir de l’étymologie supposée du nom de Nodier censé sceller l’union des Romantiques…
- Marie Mennessier-Nodier, « Notre-Dame de l'Arsenal »
Figure tutélaire de la nouvelle génération, Ch. Nodier fut un écrivain prolixe qui n'est pas encore, aujourd'hui même, apprécié à sa juste valeur. On lui doit pourtant, entre autres talents, d'être notamment l'inventeur et le promoteur du conte fantastique à la française. C'est, jusqu'à une époque récente, comme maître de l'Arsenal que la postérité aura retenu son nom. Bibliothécaire de Charles X, Ch. Nodier reçut en effet le Tout-Paris des lettres et des arts dans son fameux salon de la bibliothèque royale de l'Arsenal, et c'est dans ce « Cénacle » que, chaque dimanche, se forgèrent les lignes de force du Romantisme hexagonal. Marie Nodier, surnommée "Notre-Dame de l'Arsenal" par V. Hugo, fut une figure absolument centrale dans cet aréopage où l'on parlait littérature, esthétique, politique en dînant dans la bonne humeur, où l'on récitait et entendait des vers et des contes, où l'on écoutait de la musique et l'on dansait également le moment venu. Marie Nodier y rayonnait : elle jouait du piano et chantait avec grand talent. Mieux que cela : elle était la muse de cette génération d'écrivains et d'artistes de l'époque. Hugo, Musset, Fontaney l'admiraient, on doit aussi à Arvers, tombé sous le charme de la fille du maître des lieux, le fameux sonnet (publié en 1833) qui allait sceller devant l'éternité l'expression de sentiments passionnés mais déçus, des vers dont on soupçonne qu'ils étaient destinés à cette muse romantique qui inspira tant ses contemporains. C'est en effet sur le propre carnet de Marie que fut écrit l'original manuscrit de ce célèbre sonnet... qui inspira nombre de compositeurs illustres, dont Georges Bizet, dans cette version chantée par Bruno Laplante et jouée au piano par Marc Durand.
Marie Nodier fut elle-même écrivaine à ses heures perdues et elle fait aujourd'hui l'attention de spécialistes qui se chargent d'exhumer une œuvre littéraire éparse, éclatée, tombée trop rapidement dans l'oubli... ou dans l'ombre du père. Elle s'illustra dans le genre du conte, de la poésie, du proverbe, des mémoires, autant de tentatives qui suscitèrent en leur temps l'admiration des figures les plus marquantes du Romantisme avec lesquelles elle entretint une correspondance riche et abondante. On compte parmi ces liens épistolaires des figures féminines de tout premier ordre, dont Marceline Desbordes-Valmore. On doit enfin à Marie Nodier, devenue Marie Mennessier à l'occasion de son mariage (puis Marie Mennessier-Nodier à la mort de son père), des Mélodies romantiques parues en 1831. Ce recueil contient des partitions originales composées par Marie Nodier sur des poèmes de Victor Hugo, Alfred de Vigny, Marceline Desbordes-Valmore, Casimir Delavigne, Ulric Guttinguer... Notons que dans cette volonté de dialogue entre les arts caractéristiques du romantisme, ces partitions sont illustrées par les plus grands dessinateurs de son époque, dont Tony Johannot qui collabora de façon fructueuse avec son père. Les douze Mélodies formant le recueil ont été récemment exhumées et interprétées à l'occasion d'un concert exceptionnel donné à la bibliothèque de l'Arsenal le 26 janvier 2018, organisé par les Cahiers d'études nodiéristes et l'Association des Amis de Charles Nodier. Pour ce concert très émouvant, la soprano Bernadette Mercier (qui remplaçait au pied levé Caroline Michel, mezzo-soprano, alors souffrante) était accompagnée au piano par Catie Évezard. On retrouvera en ligne le programme de cette reprise à l'Arsenal ainsi que la reproduction d'un extrait d'un article d'époque daté du 25 décembre 1830, extrait du Mercure de France, décrivant les pièces composant le recueil de Marie Nodier. Le journaliste concluait son propos, pour la première en public de ces Mélodies exécutées par Marie Nodier, de la façon suivante :
« Un bel avenir, sans doute, est réservé au beau nom que porte Madame Mennessier, née Charles Nodier. Ces premiers essais d'une jeune femme de dix-neuf ans nous paraissent extrêmement remarquables. D'autres cependant, qui ne font pas partie du recueil, promettent peut-être davantage encore. Si, dans ce temps de révolution, quelque révolution se fait un jour dans le système musical, Madame Mennessier a compris dans quel sens elle devra s'opérer, et ne restera pas sans y prendre quelque part. »
On se met à rêver du projet d'une première mondiale qui consisterait à reprendre l'intégralité des pièces composées par Marie Nodier, dont celles aujourd'hui disparues : les aveux du journaliste du Mercure de France sont clairs, d'autres morceaux signés de Marie Nodier semblent avoir existé et joués en public sans que ceux-ci n'aient jamais fait l'objet de la moindre publication. Voilà qui serait de nature à motiver des recherches plus poussées dans les archives Mennessier-Nodier pour savoir ce qu'il reste de ces tentatives restées pour le moment encore tout à fait sourdes à la postérité.
- L'inspiration d'une rencontre sous les auspices de Marie Nodier
C'est le 12 janvier 2015, à l'occasion d'une exposition du Musée de la Vie romantique (Paris) intitulée « La Fabrique du Romantisme - Charles Nodier et les Voyages pittoresques », que se réunissent la chanteuse Cécile Achille (soprano), la pianiste Marina Pizzi et la clarinettiste Claire Voisin. Le Trio Marie Nodier était né. Et c'est dans des circonstances un peu particulières que cette naissance se déroula. En effet, c'est dans le salon principal de ce musée, l'ancienne demeure du peintre Ary Scheffer (1795-1858), que se déroulait ce récital de pièces de Schubert. Se trouvait à proximité des trois musiciennes un portrait hors du commun qui n'était jusque-là guère sorti du giron de la collection privée des descendants des Mennessier-Nodier, dans la maison familiale de Cour-Cheverny. L'impressionnant portrait oval de Marie (110 x 80 cm) exécuté par Amaury Duval (vraisemblablement vers 1840), se trouvait déposé là, accroché dans l'écrin de cette exposition qui rassemblait tant d'objets, de tableaux associés à la mémoire des Nodier et de leur famille, des activités de Charles, comme si la muse des romantiques veillait à la bonne tenue de cette soirée intimiste et mélancolique sous l'angle de la musique comme elle le faisait elle-même, en son temps, dans le salon de l'Arsenal. Le récital fut un ravissement pour les sens, exacerbé par la présence et la proximité de Marie Nodier dont la romancière Jeanne Cressanges dit de cette représentation qu'elle est « mystérieuse, inquiétante même avec son sourire à la Joconde et ses yeux de déesse égyptienne ». Ce magnifique portrait, littéralement envoûtant, et presque hypnotique pour qui sait le regarder avec insistance et délectation, charma sans doute l'assemblée de la grâce et de la bonté qui se dégageaient de ses traits comme c'était le cas de son vivant, et présida au choix des trois jeunes musiciennes – ô combien judicieux – de baptiser leur magnifique trio du nom de Marie Nodier. Le trio Marie Nodier fut d'entrée une histoire d'affinités et de complicité partagées, qui se ressentent à l'écoute de leurs interprétations. Les trois musiciennes charmèrent ce soir-là leur public dans une étreinte où l'émotion fit la part belle à l'émerveillement, au surgissement de l'atmosphère enivrante des salons romantiques. La voix humaine en écho de celle de la clarinette (et vice versa), bercées par un piano enchanteur, laissaient présager d'une sensibilité au féminin qui réhabilitait comme par magie l'importance des femmes dans ces réunions où, comme dans bon nombre d'organisations humaines, « l'espèce mâle [avait] envahi toute autorité » comme l'écrivait si justement Marie Nodier à son époque.
Les membres du trio, toutes trois professionnelles, ont déjà à leur actif pour chacune d'entre elles une carrière solidement maîtrisée. La soprano Cécile Achille, dont la carrière est partagée entre l'opéra-comique, la musique ancienne et le répertoire de chambre, est lauréate en 2010 du prix de chant de l’Académie Internationale de Musique Maurice Ravel et du 2nd prix d’Opéra du Concours International de Chant de Marseille 2017. Soliste fréquemment invitée en Europe, la pianiste Marina Pizzi a, à la fois, une trajectoire de soliste (qui l'amène à jouer du pianoforte et Chopin sur des instruments d'époque) et une expérience en musique de chambre sur un répertoire varié (tango, créations contemporaines...). Elle est lauréate de concours internationaux : 1er prix Steinway & Sons, 3e prix Vulaines sur Seine, 2e prix et prix spécial des Mûrs du son du concours de Lagny sur Marne. Claire Voisin enfin, clarinettiste aux expériences scéniques très diverses, qu’elles soient orchestrales, chambristes ou plus expérimentales, a des pratiques musicales ouvertes sur d'autres formes d'art (théâtre, danse, arts plastiques). Sensible à la création contemporaine, son répertoire est ample, il s'inscrit, en formations réduites, dans un large panorama de musique savante, traditionnelle et de variétés.
Laissons maintenant le soin à ces demoiselles de présenter elles-mêmes leur trio et le répertoire qui est le leur dans le cadre de cette formation originale : ce dernier « s'étend des romantiques allemands aux esthétiques contemporaines. Elles enregistrent ensemble Spohr, Schubert et ont notamment pour projet du moment de faire redécouvrir certains compositeurs britanniques méconnus de ce côté-ci de la Manche. Elles proposent des concerts à géométrie variable où le piano seul prend parfois la parole entre deux lieder en duo ou trio. En baptisant leur formation du nom de la muse des romantiques, ces interprètes portent l'envie de faire naître autour d'elles l'élan musical et poétique insufflé dans sa jeunesse par cette poétesse et compositrice. »
Puissent ces quelques lignes vous inciter à cliquer sur ce lien pour voir et entendre le Trio Marie Nodier interpréter « Wach auf » de Spohr.
- SOURCES :
- - Plaquette de présentation du Trio Marie Nodier (s. d.).
- - Jacques Geoffroy : "Marie Mennessier-Nodier, muse inspirée", 11/04/2016 [en ligne].
- - Catalogue de l'exposition La Fabrique du romantisme - Charles Nodier et les voyages pittoresques, Musée de la Vie romantique, éd. Paris Musée, 2014.
- - Jeanne Cressanges : "Marie Nodier, une muse mi-encre, mi-bouillie" in Cahiers d'études nodiéristes n°7 (Marie Mennessier-Nodier : Récits et Nouvelles), sous la dir. de Jacques Geoffroy et de Georges Zaragoza, Paris, Classiques Garnier, 2019 [à paraître].
- Je remercie le Trio Marie Nodier ainsi que MM. Jacques Geoffroy et Georges Zaragoza pour les informations qu'ils m'ont fait parvenir.
- Crédits photographiques : @ampelopsisphoto