En Bref

Création de l'opéra
La genèse de L'Anneau des Nibelungen commence en 1848, c'est-à-dire neuf ans avant que Wagner ne compose Tristan et Isolde. L'Anneau des Nibelungen est un cycle de quatre opéras, une Tétralogie, conçue comme un « festival scénique en un Prologue et trois journées » dont La Walkyrie constitue la première journée, après avoir été introduite par l'opéra-prologue L'Or du Rhin. Au moment où l'idée de ce vaste projet opératique émerge, Wagner est connu pour trois opéras – Rienzi (1842), Le Vaisseau fantôme (1843) et Tannhäuser (1845) – et vient d'achever Lohengrin. Le compositeur est également un militant politique actif, proche du courant anarchiste incarné par Bakounine et Proudhon, et participe à la révolution de 1849 à Dresde. Bien qu'il soit contraint à s'exiler, c'est cette révolution qui le décide à se lancer dans la Tétralogie et à publier ses premières réflexions théoriques sur le drame lyrique avec L'œuvre d'art de l'avenir (1849), mais surtout Opéra et drame en 1851.
Véritable entreprise d'art total où le drame et la musique sont conçus dans une seule et même perspective, Wagner a d'abord écrit les livrets des quatre opéras formant sa Tétralogie, mais en commençant par le dernier opéra, Le Crépuscule des Dieux. Ainsi, La Walkyrie a été écrit en troisième, juste après Siegfried. Les premières esquisses en prose de La Walkyrie datent de l'automne 1851 et ont été élaborées en même temps que celles de L'Or du Rhin. Le compositeur avait d'abord songé à intituler l'opéra Siegmund et Sieglind : le Châtiment de la Walkyrie, mais opte finalement pour le titre La Walkyrie. Après avoir achevé la rédaction du texte en prose entre le 17 et le 26 mars 1852, Wagner le versifie au cours du mois de juin et fait publier l'intégralité de L'Anneau des Nibelungen en février 1853. La musique de La Walkyrie a quant à elle été esquissée dès l'été 1852 (comprenant une ébauche de la chanson du printemps de l'acte I), et la majeure partie de l'opéra a été composée entre juin et décembre 1854 puis orchestrée entre janvier 1855 et mars 1856.
L'Or du Rhin et La Walkyrie sont les seul opéras de la Tétralogie à avoir été créés avant l'ouverture du Festival de Bayreuth en 1876, bien que Wagner ait été réticent aux représentations de ses opéras en dehors du cycle de L'Anneau des Nibelungen. Après la création de L'Or du Rhin en 1869 au Théâtre Royal de Munich, Louis II de Bavière fit représenter pour la première fois La Walkyrie au même endroit le 26 juin 1870 avant que l'opéra ne soit inclus dans la Tétralogie. Siegfried, le deuxième volet (ou « deuxième journée ») de L'Anneau des Nibelungen fut créé le 14 août 1876 au Festival de Bayreuth, véritable aboutissement pour Wagner après une gestation de vingt-huit années.
Clés d'écoute de l'opéra
La continuité de L'Or du Rhin et l'unité de L'Anneau
La construction dramaturgique de L'Anneau des Nibelungen sur quatre opéras – un prologue avec L'Or du Rhin, trois journées avec La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des Dieux – tisse une mythologie à plusieurs échelles et à plusieurs temporalités. Dieux, demi-dieux, géants, nains et humains se croisent et constituent les nombreux acteurs – pas moins de 34 personnages ! – de la Tétralogie, ce qui explique pourquoi Wagner a recours à de nombreux rappels dans les quatre volets de son récit. Dès La Walkyrie, les personnages présents dans L'Or du Rhin sont soit présents sur scène, soit évoqués musicalement par des leitmotiven lorsqu'ils sont absents : c'est notamment le cas de Loge, demi-dieu du Feu, que Wotan invoque pour qu'il veille sur le corps de Brünnhilde endormie, alors que scéniquement le personnage en est absent. Wagner tisse ainsi un réseau dramaturgique capital entre les 34 personnages de sa Tétralogie, ce qui implique les rappels fréquents à partir de La Walkyrie pour ne pas perdre son auditeur dans les quatre grands opéras qui forment L'Anneau des Nibelungen. Le drame des Dieux fait ainsi cohabiter plusieurs générations avec la descendance de Wotan, que ce soit pour ses progénitures humaines (les jumeaux Sieglinde et Siegmund) ou pour ses filles guerrières que sont les Walkyries. À travers cette nouvelle conception de la temporalité dans l'opéra, c'est la question de l'unité dramatique que Wagner cherche à révolutionner : L'Anneau des Nibelungen a été conçu en quatre volets, chacun révélant progressivement les éléments-clefs du passé de chaque personnage, que ce soit par le rappel ou le retour des individus déjà présentées ou par la volonté d'expliciter les enjeux pour chaque acteur du macrocosme de la tétralogie.
Dramaturgie des Dieux et nouvelles temporalités
Première « journée » du « festival scénique » wagnérien, La Walkyrie franchit une nouvelle étape dans le processus dramaturgique de L'Anneau des Nibelungen. Si L'Or du Rhin faisait office de Prologue à un univers légendaire entre le monde céleste du Walhalla, les profondeurs sous-terraines du Nibelheim et le milieu aquatique du Rhin, le deuxième volet de la tétralogie entre quant à lui de plein pied dans le monde humain jusqu'à présent absent de la Tétralogie. En effet, La Walkyrie est caractérisée par une relative « unité de temps », les mentions sur le temps réellement écoulé étant quasiment absentes du livret : l'action s'inscrit dans une temporalité cette fois-ci à dimension humaine, principalement circonscrite à une journée entre l'arrivée de Siegmund chez Hunding et sa mort pendant le combat de la scène finale de l'acte II. Les scènes se déroulant dans le cercle des créatures divines – Fricka et Wotan au Walhalla pour les deux premières scènes de l'acte II, ou encore les Walkyries sur le chemin du Walhalla pour le début de l'acte III – sont quant à elles liées au temps des humains. Dans le premier cas, Fricka doit convaincre Wotan de l'issue du combat entre Siegmund et Hunding avant que Wotan n'annonce sa décision à Brünnhilde (acte II, scène 2). Dans le deuxième c'est Brünnhilde qui doit impérativement sauver la vie de Sieglinde pour qu'elle mette au monde « le sublime héros du monde » (« den hehrsten Helden der Welt ») : ce sera le rédempteur humain et libre, qui n'est plus soumis à la volonté divine, héros éponyme du prochain volet de la tétralogie, Siegfried.
Par ailleurs, l'opéra de Wagner met en œuvre deux temporalités qui cohabitent dès L'Or du Rhin mais dont l'opposition est encore plus marquée à partir de La Walkyrie : d'une part, le temps de la réalité extérieure, régi par la succession des événements, et d'autre part la durée intérieure, temps psychologique. Si le temps extérieur semble être de prime abord une caractéristique de la temporalité humaine, il touche en réalité autant les hommes que les Dieux, qui sont entrés dans un engrenage irrémédiable et courent à leur perte depuis le vol de l'Or des filles du Rhin. Le temps psychologique touche quant à lui autant les Dieux aux défauts humains (avidité et jalousie qui caractérisent Wotan et Fricka) que les humains qui sont dans La Walkyrie les pantins de la volonté divine. Wagner rythme de diverses façons ces deux temporalités tantôt en dilatant les moments les plus intimes (duo d'amour entre Sieglinde et Siegmund, ou encore au cours de la confession de Wotan à Brünnhilde acte II scène 2) ou au contraire en accélérant le déroulement des événements pour une plus grande efficacité dramatique : outre le Prélude qui introduit de plain-pied dans la tempête qui gronde, ce sont surtout le combat entre Siegmund et Hunding de la fin de l'acte II et la célèbre chevauchée des Walkyries (début de l'acte III) qui propulsent l'action dramatique.
Un pas de plus dans la psychologie
L'apparition de la dynastie des humains et des intrigues amoureuses caractérise La Walkyrie : alors que L'Or du Rhin présentait l'amour d'un point de vue négatif par le biais du renoncement d'Alberich, le sentiment amoureux est éclairé d'un jour nouveau dans La Walkyrie. En effet, c'est avant tout son aspect spontané qui caractérise la relation incestueuse des jumeaux Siegmund et Sieglinde, mais aussi l'amour père-fille entre Wotan et Brünnhilde (certes très complexe), sans oublier la compassion de Brünnhilde pour Siegmund, le père de son futur amant Siegfried.
La troisième scène de l'acte I correspond au moment où Siegmund et Sieglinde se reconnaissent comme amants et comme frère et sœur. Pour illustrer l'émergence du sentiment amoureux l'orchestration n'y est pas sans rappeler les topoï du romantisme germanique comme la Nature par une imitation du frémissement des éléments en éveil, miroir de l'amour naissant entre Sieglinde et Siegmund. Il s'agit également de l'un des rares moments de l'opéra wagnérien qui puisse être qualifié d'air de Siegmund par une construction mélodique en phrases lyriques qui contrastent avec l'écriture arioso habituellement mise en œuvre.
Wagner dépasse la notion d'air circonscrit à l'expression d'un sentiment ou d'une idée grâce à une écriture vocale arioso (à mi-chemin entre le récitatif proche du parlé et l'air), qui caractérise principalement les longues interventions, voire les tirades des personnages de la Tétralogie, comme lorsque Wotan se confie à Brünnhilde dans la scène 2 de l'acte II de La Walkyrie. Si les rappels du passé sont fréquents dans la Tétralogie pour créer un vecteur d'unité au fil des quatre opéras, l'importance de cette intervention réside dans l'explicitation des intentions du Maître des Dieux et l'origine de la rivalité entre la dynastie de Wotan et celle d'Alberich, qui se rencontreront dans la deuxième journée de L'Anneau des Nibelungen, Siegfried. Par ailleurs, la partie vocale suit le plus souvent une trajectoire rectiligne imitant la voix parlée (recto tono de la mélodie) tandis que l'évolution des couleurs orchestrales ainsi que l'apparition successive des motifs (à l'exception du celui des Walkyries, chanté par Wotan) donnent à chaque mot toute sa portée dramatique, et explicitent même la pensée du Maître des Dieux.
Avec l'introduction de l'échelle humaine (mais aussi la psychologie de l'amour) dans la Tétralogie, Wagner esquisse déjà l'échappatoire à la malédiction de l'Anneau : l'Amour (le thème de la rédemption par l'amour est d'ailleurs central dans l'oeuvre de Wagner). Les personnages sont en effet jusque-là tournés vers leur passé, cherchant à survivre au présent (c'est tout particulièrement le cas de Wotan du fait de la malédiction de l'Anneau). Mais un basculement s'opère après La Walkyrie du fait de l'apparition de l'homme libre, qui agira indépendamment des projets des Dieux, échappant ainsi à la malédiction.