En Bref
Création de l'opéra
Les Boréades, l’ultime opéra de Jean-Philippe Rameau, ont très longtemps été datés de 1764, d'après une note attribuée à Decroix portant sur la feuille de garde d’une partition d’orchestre manuscrite, conservée à la Bibliothèque nationale : "Cette tragédie est le dernier ouvrage de musique de Rameau. L’Académie royale de musique en allait faire la répétition, lorsque l’auteur mourut en septembre 1764. La représentation n’eut pas lieu. Le poème et la musique n’ont pas été gravés, ni imprimés. L’auteur du poème est inconnu." Mais cette note induit en erreur sur plusieurs points, puisqu’a été retrouvée une facture dans le Livre des Comptes de la Maison du Roy à l’ordre d’un certain Monsieur Durand, faisant état de deux répétitions de musiciens sur la partition des Boréades, l’une à Versailles et l’autre à Paris, les 25 et 27 avril 1763.
Quand au livret, même s’il n’est pas signé, de nombreux spécialistes depuis la fin du 18ème siècle l’attribuent avec quasi-certitude à Louis de Cahusac, librettiste de nombreuses œuvres de Rameau mais décédé en 1759. Sa dernière collaboration officielle avec le compositeur date de 1755 (Zoroastre), et il aurait tout à fait en quatre ans pu écrire le livret des Boréades où sa plume est très reconnaissable.
D’autres archives précisent que la création aurait dû avoir lieu à Choisy au printemps 1763 pour célébrer la fin de la Guerre de Sept Ans qui a opposé les grands empires coloniaux et leurs alliés, notamment la France et l’Angleterre, et qui a durablement marqué les esprits et les populations. L’esprit subversif du livret attribué à Louis de Cahusac, l’incendie du Palais-Royal, l’hostilité de Mme de Pompadour, sont autant d’éléments qui auraient pu expliquer l'interruption des répétitions et la disparition aussi subite que mystérieuse de la programmation. Toujours est-il que l’opéra fut reprogrammé la saison suivante, à l’automne 1764, mais la mort de Rameau, atteint de "fièvre putride" le 12 septembre mit fin brutalement à la création.
L'opéra ne sera finalement ressuscité qu'exactement deux siècles après la date prévue de re-programmation mais c'est une version encore incomplète qu'exécutent les forces de l’ORTF (Office de Radiodiffusion-Télévision Française) au 16 octobre 1964. Il faut encore 11 années supplémentaire et franchir la Manche pour marquer la création intégrale (dans une version concertante) : le 14 avril 1975 à Londres, sous la baguette de John Eliot Gardiner, qui dirigera également la création scénique de l'opus (au Festival d’Aix en Provence le 21 juillet 1982, la mise en scène étant signée Jean-Louis Martinoty).
L'entrée au répertoire de l'Opéra de Paris aura finalement lieu, 240 après la création prévue : en mars 2003, Les Boréades dirigées par William Christie, mises en scène par Robert Carsen, sont interprétées au Palais Garnier par Barbara Bonney, Paul Agnew, Toby Spence, Laurent Naouri, Stéphane Degout et Les Arts florissants.
Clés d'écoute de l'opéra
Le livret des Boréades est des plus minces : une Reine sommée de choisir, aux actes I, II et III, entre deux prétendants de sa lignée, élit au IV un corps étranger, avant d’apprendre au V que ce dernier est finalement de l’ascendance adéquate (heureusement !). De ce concentré découle en fait une profession de foi en la capacité au bonheur des humains.
De nombreuses raisons ont été avancées pour tenter d'expliquer le sommeil durant 250 de cet opus : le genre –la tragédie lyrique-, alors vu comme obsolète et démodé, la censure politique, les difficultés techniques inhérentes à l’exécution de l’œuvre. Quoiqu’il en soit, Rameau a composé là une musique qui surprend et enchante, dans laquelle le plaisir d'une pastorale cache une ode à la liberté et à l’amour.
« Le bien suprême, c’est la liberté ! » proclame une Nymphe. Liberté pour la Reine Alphise de se choisir un époux contre la volonté du puissant Borée. Liberté d’Abaris, simple mortel de prétendre à l’amour d’Alphise. Liberté pour Rameau de sortir des cadres de la tragédie lyrique en imposant le flot irrésistible de ses suites de danses. Liberté pour un musicien maîtrisant pleinement son « langage » de s’abandonner de manière jubilatoire à la variété et à la fraîcheur de son inventivité sans limiter son inspiration. Autant d’éléments qui ont sans doute déplu à la censure de Louis XV, qui voyait d’un mauvais oeil ce livret trop pré-révolutionnaire, dénonçant les abus de pouvoir des puissants et clairement inspiré par la philosophie des Lumières.
Si les fondamentaux de la tragédie lyrique sont toujours là (présence d’un continuo, voix déclamées et ornementées « à la française »), Rameau n’hésite pas à bousculer les formes pour l’adapter à son propos : fulgurances vocales (tessitures tendues) et instrumentales, inventivité audacieuse avec parfois des accents modernes et annonciateurs de la suite (notamment au début de l’acte IV et lors de la tempête), solistes dialoguant avec le chœur, bassons occupant une grande place, plus encore que dans toute autre oeuvre, omniprésence active et puissante du chœur, commentant l’action sur un mode antique, parfois en forme de dialogue avec les protagonistes, toujours en mouvement, suivant pas à pas le drame.