En Bref
Création de l'opéra
Un long travail
Avant même le triomphe des Huguenots (composés à partir de 1832 et créés en 1836), Meyerbeer songe à un opéra d'après l'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations (1756) de Voltaire, sur la figure de Jean de Leyde, tyran religieux du XVIe siècle à Munster, autoproclamé "Roi de Sion". Le compositeur y travaille avec son librettiste habituel, Eugène Scribe. D'une dimension colossale, le travail prend du temps. Meyerbeer et Scribe apportent de nombreuses modifications. Le compositeur explore des sources d'inspiration nouvelles (notamment les oratorios Joshua et Jephtha de Haendel). De nombreux éléments retardent également le projet, notamment la direction compliquée de l'Opéra de Paris par Léon Pillet (Meyerbeer ne souhaite d'ailleurs pas que le directeur impose une fois encore sa compagne la chanteuse Rosine Stoltz : il veut Pauline Viardot) et le poste que Meyerbeer obtient en 1842 (Directeur général de la musique de Prusse). Après un changement de direction à Paris ainsi que de nombreuses séances de travail et retouches, Le Prophète est créé le 16 avril 1849.
Succès légendaire
Après le triomphe des Huguenots, Le Prophète est un succès encore plus éclatant, l'acmé dans la carrière de Meyerbeer, qui reçoit honneur et richesse. Créée en français, puis en anglais et en allemand quelques mois plus tard, l'œuvre fait le tour du monde. Sommet, Le Prophète marque de fait le déclin d'un genre. Tout-puissant, le Grand Opéra va lasser par son omniprésence grandiose. En France, le renouveau sera apporté par Debussy avec Pelléas et Mélisande en 1902, son aspect intimiste, empli de symboles épurés, revenant à la continuité et au naturel de la parole : tout l'inverse du Grand Opéra. L'autre alternative sera l'opéra Wagnérien, un compositeur qui s'était violemment attaqué à Meyerbeer et à son esthétique parce qu'il "soumettait le texte à la musique", sacrifiant le drame.
Une influence majeure
Si le genre du Grand Opéra périclite, Le Prophète aura eu une grande influence sur des compositeurs lyriques majeurs. Présent dans le public, Verdi est impressionné par le spectacle, il composera lui aussi des Grands Opéras et travaillera avec le même librettiste, Eugène Scribe (pour Les Vêpres siciliennes, 1855). L'italien modèlera également ses mezzo-sopranos Azucena (Le Trouvère), Eboli (Don Carlos) ou Amneris (Aïda) sur la Fidès du Prophète.
Clés d'écoute de l'opéra
Grand Opéra
Le Prophète est sans doute le modèle du Grand Opéra, genre majeur du XIXe siècle, caractérisé par ses dimensions spectaculaires et démesurées, sur tous les plans : orchestre, mélodies et harmonies, chant, chœurs, ballet, scénographie, décors, costumes, thème historique. Le Prophète est le plus grandiose exemple d'un style qui fait de Paris la capitale du spectacle lyrique entre 1820 et 1870, attirant de toute l'Europe le public et les artistes de tous métiers (compositeurs, chanteurs, danseurs, instrumentistes, scénographes, décorateurs, costumiers, techniciens).
Le Grand Opéra est avant tout un opéra en (très) grand, reprenant les composantes de l'art lyrique en les démultipliant. Les actes et même les entractes sont un spectacle total, un ensemble de tableaux balayant une infinité de styles musicaux : Prélude, Récitatif, Aria, Arioso, Prêche, Romance, Valse, Pastorale, Rédowa, Quadrille, Galop, Bouffe, Hymne, Marche, Prière, Cavatine, Bacchanale, Couplets bachiques, Ensembles, Chœurs, Finals. Les moyens musicaux sont à la grandeur de l'œuvre. L'orchestre fourni en fosse reçoit également le renfort d'un orgue. S'y ajoutent un orchestre de scène et un chœur d'enfants qui joue des cymbales antiques (tous ces moyens s'unissent pour une grandiose scène du Couronnement).
Des personnages incarnent ces dimensions. La réalité dépassant souvent la fiction, Jean de Leyde, (anti-)héros est à lui seul un Grand Opéra, avec sa gloire et sa douleur. Les autres personnages et leurs rapports sont dans cette veine dramatique exacerbée, avec la figure de mère sublime et sacrificielle (Fidès) comme celle de l'épouse dévouée jusqu'à la bravoure (Berthe).
Les décors sont d'immenses tableaux Renaissance, admirés par les critiques d'art. Le coucher de soleil est produit par la nouvelle fée électricité, l'incendie final émerveille et inquiète (la définition du "sublime"). La scénographie est à la hauteur du spectacle inédit, avec le ballet "Les patineurs", imitant des patineurs à glace sur scène. Le Ballet est d'ailleurs une composante majeure du Grand Opéra, pour plusieurs raisons. Spectaculaire, il vient renforcer les dimensions de l'œuvre par sa pompe et en l'ouvrant aux autres arts. Le ballet sert aussi à attirer le public parisien nanti, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est systématiquement placé au troisième acte : les riches spectateurs venant uniquement pour admirer les filles du ballet, après avoir pris le temps de bien manger. D'ailleurs, les grandes difficultés rencontrées par Wagner à Paris tiennent à cette danse obligatoire : le compositeur allemand refuse d'abord qu'un Ballet soit ajouté à son opéra Tannhäuser pour le transformer en Grand Opéra. Il finit par accepter, mais à condition que le ballet soit au premier acte. L'œuvre est donc un échec.