Une Petite renarde rusée pleine de fantaisie au théâtre de l’Athénée
La fable imagée que Leoš Janáček tire du roman de Rudolf Těsnohlídek, de quelques années antérieur, inspire à Louise Moaty un univers hétéroclite, fait de peintures naïves, de marionnettes et de petits objets, où cohabitent tant bien que mal hommes et animaux. Les figures animales, en papier ou peluche, sont conçues d’après la série de dessins à la plume de Stanislav Lolek, eux-mêmes prétextes à l’œuvre de Těsnohlídek. Les animaux dans ce monde merveilleux sont doués de parole, et leur regard naïf sur la société des hommes est teinté d’une ironie tantôt douce, tantôt acerbe. La fable de la renarde Finoreille, héritière d’une tradition satirique antique (que l’on pense à Ésope ou La Fontaine), n’épargne personne : prêtres, dépositaires de la puissance publique, idéologues, bourgeois et phallocrates, tous reçoivent la rançon de leurs prétentions.
La petite Renarde rusée par Louis Moaty (© Enrico Bartolucci)
Cette Renarde si touchante est incarnée depuis la création de cette production début 2016 et pour cette reprise à l’Athénée par la soprane Noriko Urata, une voix agile et enjouée qui sied fort bien au félin et à ses discours révolutionnaires. Caroline Meng, mezzo au timbre chaud, chante la partie séduisante du Renard. Le ténor Paul Gaugler, qui joue notamment l’Instituteur, nous fait sombrer dans le lyrisme déroutant de l’écriture de Janáček. Ivre, titubant le long de la route, discourant de physique newtonienne et d’amour, l’Instituteur se lance dans des bribes mélodiques, toujours sublimes, jamais achevées. L’orchestre (l'Ensemble TM+ dirigé par Laurent Cuniot), puissant, tour-à-tour le soutient ou le laisse s’écrouler, prenant le dessus sur l’ivrogne. Les sonorités de la langue tchèque augmentent encore l’étrangeté de cette écriture, et emportent le public dans des forêts fantasques.
La petite Renarde rusée par Louis Moaty (© Enrico Bartolucci)
Familière des excentricités baroques qu’elle pratique notamment aux côtés de Benjamin Lazar, Louise Moaty ne se laisse pas impressionner par le fourmillement de l’œuvre. Les chanteurs, marionnettes et bestioles variées qui envahissent la petite scène de l’Athénée sont en réalité les acteurs, figurants ou techniciens d’un film en train de se faire et projeté au-dessus du plateau. La metteur en scène confie son « plaisir de voir l’image s’élaborer sous nos yeux dans ce studio ». Plaisir partagé par le public, émerveillé de ces délicieuses trouvailles qui mêlent les pinceaux, les ciseaux et le papier aux technologies vidéo les plus pointues. Malheureusement, quelques dysfonctionnements viennent gâter la fête, et notamment le total décalage des sous-titres, indispensables pourtant à la compréhension de l’histoire.
La petite Renarde rusée par Louis Moaty (© Enrico Bartolucci)
La présence du Jeune Chœur de Paris étend l’espace de jeu aux dimensions du théâtre. D’abord invisibles en coulisses, les choristes pénètrent bientôt entre les rangées de fauteuils pour figurer les animaux de la forêt, et vocalisent enfin avec une joie contagieuse pour célébrer le mariage de la Renarde avec son Renard. La fosse d’orchestre devient quant à elle le terrier du Blaireau, animal conformiste attaché à sa propriété et à sa petite fortune. Il bénéficie cependant de la somptueuse basse de Philippe Cantor, qui chante également les parties du Curé et du Vagabond. L’un déclame des sentences latines entre deux chopes de bière, se remémorant avec nostalgie ses amours de jeunesse, tandis que l’autre sifflote des airs populaires. Laurent Bourdeaux, baryton, complète cette distribution homogène aux timbres vivifiés par la richesse consonantique du tchèque.
La petite Renarde rusée par Louis Moaty (© Enrico Bartolucci)
La force de Janáček réside certainement en sa capacité à faire œuvre d’une telle abondance d’éléments disparates. Bien plus qu’un collage surréaliste, La Petite Renarde rusée est une fable existentielle servie par une musique en mouvement perpétuel, toujours surprenante, à l’image de cette production de la compagnie Arcal.
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