Un Simon Boccanegra d’une grande qualité musicale au TCE
Comme l’indique le nom du producteur de ce spectacle, Les Grandes Voix, c’est un plateau vocal d’une grande qualité et d’une grande cohérence qui était proposé en ce dimanche soir sous la baguette ingénieuse de Pinchas Steinberg aux spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées. Ce dernier tire de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo une myriade de couleurs et d’ambiances musicales, alternant de véritables moments d’apesanteur et des passages d’une puissance dramatique considérable, dans lesquels Steinberg saute sur place malgré ses 71 ans. Les gestes du maestro sont d’une grande précision, s’appuyant sur une connaissance fine de l’œuvre dont il chante les parties solistes afin de mieux en percevoir le phrasé et les respirations. Il guide les interprètes dans chaque accentuation ou chaque allègement : musiciens et chanteurs répondent à ces demandes dans un même élan. Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo (le concert a été donné dans la maison monégasque pour deux dates la semaine dernière), puissant et raffiné également, est parfaitement en place.
Tézier, Kowaljow, Steinberg, Radvanovsky et Vargas
La direction musicale sert ici parfaitement le propos d’une œuvre qui, comme Ernani (programmé à Toulouse, comme nous vous en rendions compte il y a peu), reste relativement peu donnée. L’intrigue mêle rivalités amoureuses et politiques sur fond de querelles familiales et sociales (entre les patriciens et les plébéiens) dans la ville de Gênes. Bien que relativement tardif dans la production de Verdi (1857, c’est-à-dire après ses chefs-d’œuvre populaires), l’opéra souffre de lacunes dramatiques et musicales. Pourtant, portée par de grands interprètes, elle retrouve une vitalité éclatante.
Ludovic Tézier (© Elie Ruderman)
Cette série de concerts est l’occasion d’une prise de rôle-titre pour Ludovic Tézier. Le baryton français aura eu besoin du Prologue pour finir de chauffer sa voix et éliminer la résonance métallique émaillant alors son timbre. Rapidement, il retrouve sa voix noble et posée, ainsi que son phrasé, doté d'une grande autorité, qui lui est si caractéristique. Ses graves absolument resplendissants font merveille et imposent une solennité idoine pour le personnage. Son interprétation bénéficie également de délicats aigus, émis en voix de tête. Très concentré sur sa partition, il en oublie toutefois d’apporter une incarnation scénique de son personnage, pourtant si importante pour un ouvrage aussi visuel donné en version de concert.
Après avoir triomphé dans Aida à l’Opéra de Paris la saison dernière (et avant de rechanter ce rôle aux Chorégies d’Orange -réservez vos places ici), Sondra Radvanovsky interprète Amélia, la fille cachée de Boccanegra. Impliquée, elle change de pupitre, prend la main de ses partenaires, apporte du jeu en soutien d’une prestation vocale de grande qualité. Soulignant la jeunesse de son personnage par le vert étincelant de sa robe dans la première partie, elle en revêt une bleu nuit dans la seconde, marquant ainsi le sombre destin de son père. Vocalement, elle dispose d’une voix aux mille couleurs. Son vibrato, parfois fortement appuyé, est allégé à l’extrême dans d’autres passages pour une interprétation d'une grande sensibilité.
Plus à l’aise dans la prononciation italienne que française, le ténor Ramon Vargas revient à Paris en Adorno, après avoir remplacé Jonas Kaufmann dans les Contes d’Hoffmann au mois de novembre. Loin de l’accueil sceptique qu’il reçut alors (lire notre compte-rendu), c’est un véritable triomphe qu’il obtient cette fois. Malgré un léger déraillement dans son premier duo, il présente une voix vaillante au timbre mature. Ses aigus sont joliment émis, qu’ils soient délicats ou puissants. A l’acte II, il conclut son air d’une note longue, puissante, vibrée et vibrante. Manquant parfois de nuances, il offre toutefois de belles intentions, comme lorsqu’il s’écrit à plusieurs reprises sur différents tons, comme pour s’en convaincre : « Il mourra ! », ou lorsqu'il fait percuter les consonnes occlusives pour dévoiler sa haine.
Vitalij Kowaljow (© Sussie Ahlburg)
La basse Vitalij Kowaljow est également l’une des grandes satisfactions de la soirée. Nuancé, il campe un Fiesco sombre mais sensible à la voix tonnante, joliment couverte afin de l’assombrir, et à l’ample vibrato. Sa prononciation reste de bonne facture dans les extrêmes graves qui gardent une grande clarté vocale. Le Paolo d’André Heyboer, lui aussi très applaudi, offre de beaux graves étirés sur un vibrato bien posé. Expressif, il lance des regards noirs lorsque son personnage réclame vengeance, écarquille les yeux lorsqu’il pense à sa mort prochaine, se moque de la probité de Fiesco qui refuse d’assassiner Boccanegra ou se retourne vers le chœur, interloqué, lorsque ce dernier maudit ses agissements. Sa dernière intervention, dans laquelle il révèle avoir empoisonné le Doge, est très lyrique et saisissante. La qualité musicale de cette soirée rappelle une fois encore la pertinence du format de la version concertante dont le TCE est spécialiste, et qui permet de rassembler les artistes les plus prestigieux malgré leurs agendas pléthoriques. L’Ariodante du mois de mai prochain (à réserver ici), distribuant le rôle-titre à Joyce DiDonato devrait en être un nouvel exemple !