Émouvantes Vigiles nocturnes par le Chœur de Grenelle
Sergueï Rachmaninov a gardé un émouvant souvenir des chants des offices religieux qu'il entendait, enfant, accompagnant sa grand-mère dans les églises orthodoxes. Le compositeur russe, connu pour nombre de pièces instrumentales, maitrise ainsi également et particulièrement l’art choral. Ses Vigiles nocturnes en quinze parties sont vouées à rythmer la veillée d’une fête importante, du crépuscule à l’aube. Utilisant le slavon d’église, proche du russe, l’œuvre s’inspire des chants hérités d’Ukraine et des Balkans, notamment le chant znamenny – équivalent du grégorien dans la tradition musicale catholique.
Réunissant une quarantaine de chanteurs se vouant à la passion commune du chant a cappella, le Chœur de Grenelle a été créé en 2007 par Alix Dumon-Debaecker. Elle les dirige en modelant de ses paumes de main les lignes vocales avec une fermeté qui se fait caressante, sa précision guidant le son d'ensemble d'une manière assez homogène (hormis quelques brefs passages où la justesse d’une voix se fait hésitante, à l’oreille attentive). Les harmonies de Rachmaninov, alternant entre facilité (apparente) en homorythmie et architecture polyphonique plus contrapuntique, se teintent de couleurs aussi puissantes que tendres. Quelques basses du chœur visent même à atteindre les notes abyssales de cette tradition.
Préparés par Marianne Sytchkov pour la diction, les artistes témoignent de toute leur attention envers le texte, toujours très distinct. D'autant qu'il est soutenu par d’efficients élans de phrasés, aidant à la progression dynamique et expressive. Malgré l’endurance que requiert cette œuvre exigeante, la justesse ne fait défaut à aucun moment (ou presque).
Quelques passages offrent à entendre des solistes, à commencer par l’alto Sarah Morisot qui montre une bonne conscience du soutien et un timbre velouté dans le grave (mais dont la voix pourrait ressortir davantage, et que le Chœur pourrait laisser ressortir davantage). Le ténor Côme Chatelus dispose d'un timbre solaire et clair. Enfin, Bertrand Bontoux installe l'autorité et la profondeur de sa voix de basse, encourageant ses comparses vers les plus extrêmes graves.
Pour le moment le plus emblématique de cet opus, le « Bogoróditse Djévo » (Ave Maria slavon), les lumières de la crypte s'éteignent et les choristes allument progressivement une bougie qu’ils tiennent chacun devant eux, offrant une atmosphère particulièrement saisissante. Progressivement, les lumières se rallument, accompagnant les auditeurs des laudes, office de l’aube, vers la lumineuse prime, première heure de la journée.
Devant tant d’enthousiasme lors des applaudissements, le chœur se dissémine tout autour du public pour l’envelopper du son caressant et particulièrement émouvant de ce Bogoróditse Djévo, redoublant le bonheur de chacun.