Le Coq d’Or à La Monnaie, voyage dans un conte absurde, noir et féerique
Rimski-Korsakov a écrit son Coq d’Or dans un contexte de révolution russe, d’abus de pouvoir du Tsar et de la censure qui s’en suivit. Son opéra est une adaptation du Conte du Coq d’Or de Pouchkine, l’un des plus grands poètes russes. L’opéra de Rimski-Korsakov est empli d’allégories et de parodies : le Tsar fainéant, les airs d’influence orientale représentant la Russie folklorique ou encore le peuple ignorant et soumis.
L’opéra narre donc l’histoire d’un Tsar fainéant, Dodon, qui souhaite laisser de côté ses responsabilités. Sa solution : un Coq d’Or magique qui, grâce à son chant, l’informe des menaces extérieures, lui permettant d’envoyer ses troupes au bon moment et au bon endroit. Malheureusement, ses jeunes soldats se font décimer : les vétérans, dont le Tsar lui-même et son général Polkan, doivent partir à leur tour au combat. Là, ils découvrent les cadavres des deux princes : Dodon jure de les venger ! Désirs de vengeances bien vite oubliés devant le charme de la responsable, la Tsarine de Chemakha. Il lui promet d’ailleurs son royaume et revient triomphant avec elle à son bras, acclamé par le peuple. L’astrologue, l’homme qui lui avait échangé le Coq d’Or contre un vœu, vient réclamer son dû. Il souhaite la Tsarine de Chemakha. Dodon refuse et en vient même à tuer l’Astrologue. La Tsarine rit et annonce à Dodon sa fin. A cet instant, le Coq vient tuer le Tsar d’un coup de bec. La Tsarine disparaît et le peuple pleure son Tsar. « Tsar de tous les tsars, sage entre tous, les bras croisés, il régnait du fond de son lit ». L’Astrologue, également narrateur, clôture ce conte en rassurant le public : dans cette histoire, seule la Tsarine et lui-même étaient vivant, « les autres : chimères, élucubrations, fantômes blafards, vacuité ! ».
Pavlo Hunka dans le Coq d'Or (© Baus-Munt-Monnaie)
C’est l’absurdité du conte et son intemporalité qui ont été mis en avant par Laurent Pelly, le metteur en scène. Avec la scénographe de Barbara de Limburg, il présente la morale du conte plutôt qu’un contexte historique inconnu du public, ou une quelconque actualisation. L’accent est mis sur l’humanité des personnages et sur le despotisme mêlé à la bêtise. Pari réussi pour Laurent Pelly qui connaissait peu le répertoire de Rimski-Korsakov. Il a su imposer sa patte, lui qui a une prédilection pour les contes fantasques et oniriques.
Les décors sont basés sur l’idée de Pelly qu’une pièce est toujours le rêve de quelqu’un. Dans ce cas précis, il s’agit du rêve de Dodon. Le metteur en scène et la scénographe font « assister [le public] à la folie sénile de ce tyran imbécile qui en même temps ressemble à tous les hommes ». La scène est sombre et tant les décors que les costumes restent dans les tons gris. Le sol est une roche noire - la servitude du peuple - sur laquelle trône un lit imposant qui représente les fantasmes du Tsar. Perdu sur le côté de la scène, un radiateur, seul, servira de perchoir au coq. Ce décor se veut « brutal, absurde et rêveur » d’après les mots de Laurent Pelly.
Le Coq d'Or par Laurent Pelly (© Baus-Munt-Monnaie)
L’acte II garde sa roche noire sur laquelle une structure en bois en forme de cône s’étend sur la scène. C’est la tente de la tsarine. C’est un visuel intéressant, accentuant les espaces aux moyens de lumières (imaginées par Joël Adam). Cette structure renvoie au rêve et à l’imagination. Enfin, durant l’acte III, la scène semble être Saint-Pétersbourg, lieu d’accueil du cortège royal. Une gigantesque photo de foule emplit le mur du fond afin de multiplier la présence du chœur présent sur scène. Un drap, illustré d’un paysage qui semble être la capitale, tombe. Il laisse place au couple royal affalé dans un lit monumental qui est fixé sur les chaines d’un tank. Cette mise en scène est significative : elle représente la servitude et la soumission d’un peuple à un souverain despote qui appuie son autorité sur des bases militaires solides.
Cette ambiance de rêve est aussi due aux costumes, sombres et tristes, sauf le Coq qui illumine la scène de son aura dorée. Le costume et l’interprétation de Sarah Demarthe qui joue ce rôle sur scène sont d'ailleurs très réussis. Si c’est elle qui fait mouvoir le coq, c’est Sheva Tehoval qui le fait chanter de sa voix claire et puissante depuis la fosse. La synchronisation est parfaite et dupe le spectateur : à ses yeux, c’est le coq sur scène qui chante. Un délice et un air qui reste en tête.
Le costume de Dodon, bien que moins somptueux, décrit de manière visuelle le caractère du personnage. Toujours en pyjama, même pour aller à la guerre, le Tsar n’aspire qu’à une chose, dormir. Son gouvernement et ses fils ont quant à eux un style slave : pâles et blonds. Ils restent toujours en contre-bas de leur souverain, ce qui leur donne un air de petits êtres de la forêt peu intelligents qui acclament leur roi sans limite et sans jugement. Le chœur dispose d’une bonne cohésion et donne de la puissance. Si le premier acte introduit ce chœur adroit, c’est lors du troisième acte qu’il expose son talent, laissant le public sans voix devant la mort du « bien-aimé » Tsar. Cette foule habillée de vêtements sombres du début du siècle et aux visages sales, rappelle les ouvriers de la révolution industrielle. Le chœur est un personnage à lui seul, indispensable à cet opéra.
Le Coq d'Or par Laurent Pelly (© Baus-Munt-Monnaie)
Outre les décors et les costumes, la mise en scène et le jeu scénique ajoutent de l’ampleur à ce côté absurde. Les deux princes interprétés par Alexey Dolgov et Konstantin Shushakov jouent du burlesque avec une voix puissante et claire, renforçant le comique de la pièce. L’intendante Amelfa, interprétée par Agnes Zwierko, use également d’humour et d’un excellent jeu d’actrice. Alexey Tikhomirov joue un Dodon ronchon qui maîtrise les intonations de sa voix afin de passer du rire aux pleurs, ce qui amuse le public. Enfin, saluons le comique de Alexander Vassiliev qui joue un Polkan nerveux et boiteux, seul militaire sensé de l’entourage du roi.
Agnes Zwierko dans le Coq d'Or (© Baus-Munt-Monnaie)
La voix de soprano de Nina Minasyan, qui interprète le rôle de la Tsarine de Chemakha en alternance avec Venera Gimadieva, enchante autant le spectateur que le Tsar. L’air de style oriental de Rimski-Korsakov allié au timbre clair et envoûtant de la chanteuse la transforme en charmeuse de serpents. Et les serpents, c’est le public ! Il y a un vrai dialogue musical entre cette voix sensuelle et la voix du Tsar, Alexey Tikhomirov, dont l’air est plus rythmé et plus brusque. Un plaisir pour les yeux, un régal pour les oreilles. Alexander Kravets offre une tessiture large pour construire son personnage de l’astrologue. Il réussit à passer avec aisance de voix de poitrine à voix de tête en chantant des notes aiguës qui accentuent son air féerique.
En bref, un casting de premier choix, une mise en scène alliant rêve, humour et noirceur, le tout dans une cohésion parfaite. Cohésion due à une musique dirigée avec brio par Alain Altinoglu qui a su faire de la partition de Rimski-Korsakov un rêve. L’orchestre emplit le Palais de La Monnaie dans les moments d’intensités comme celui des acclamations du peuple. Il donne du rythme aux moments comiques. Il charme avec la Tsarine de Chemakha. Enfin, il devient le chant du Coq quand celui-ci apparaît. La mise en scène se base sur cette orchestration donnant au final un opéra bien dosé, à l’apparence absurde, mais qui laisse un air de « Cocoricou » dans la tête. Et ce, malgré les décollages d’avions au-dessus du chapiteau temporaire de l’institution bruxelloise !