Graindelavoix “sur les ruines du présent et du passé” à BOZAR
“Que peuvent signifier l’art et la musique en des temps de catastrophe et de crise ?” se demande Björn Schmelzer, fondateur de l’Ensemble artistique Graindelavoix. Ils tentent d’y apporter une réponse à travers l’actualisation de chants renaissants, se basant, pour le citer, “sur les ruines du présent et du passé”.
Après avoir descendu les volées de marches menant à la salle M souterraine de BOZAR, les spectateurs assistent à leur tour à une descente souterraine : en 1967, Luigi di Gianni filme des villageois italiens, qui, en recherche de guérison, se rassemblent dans une crypte sacrée pour s’adonner à un rituel surprenant. Il Culto delle Pietre fait ainsi office de prélude à la représentation, projeté sur un mince drap blanc tendu à l’avant de la scène.
Les distorsions de la guitare électrique de Manuel Mota accompagnent les images déroutantes des villageois se pressant contre la pierre pour y laisser leurs maux, invoquant les vertus de San Venanzio (qui aurait vécu dans cette grotte et imprégné ses pierres de son aura miraculeuse).
Tantôt seuls, tantôt s’unissant aux autres instruments présents ou aux voix, ces sons contemporains détonnent et s’accordent à la fois étrangement avec la composition d’Antoine Brumel.
Si la Missa Et ecce terræ motus mise à l’honneur durant cette soirée était déjà un point de rupture musicale au début du XVIe siècle, l’intérêt de Björn Schmelzer quant à la “friction entre l’art et les normes dominantes à la période à laquelle cet art a vu le jour” actualise ce décalage. Les vrombissements de la guitare, comme sortis tout droit de la terre, parfois bruits blancs comme le souffle du vent, rejoignent subtilement l’ensemble musical dans une atmosphère de bouleversement et de chaos sourd.
En effet, après quelques minutes de projection, l’ensemble anversois Graindelavoix se fait entendre, accompagné de quatre instruments anciens. La Messe du tremblement de terre fait honneur à son nom. Les oxymores harmoniques, a fortiori amplifiés avec microphones, ramènent une fois encore à la dimension catastrophique, paraissant imiter les bruits du tombeau du Christ s’ouvrant après sa résurrection, la pierre, les profondeurs… Une expérience sonore géologique portée par des voix aux tonalités parfois inquiétantes et ténébreuses, qui recouvrent néanmoins une limpidité rassurante, comme élevant à nouveau l’auditeur après l’avoir plongé sous terre.
Les voix des sopranos et de l’alto, puissamment projetées, et beaucoup plus audibles en début de soirée, laissent ensuite place à d’impressionnantes et caverneuses basses dans les dernières minutes du chant. Les artistes évoluent sous les souples mouvements de Björn Schmelzer. La silhouette du chef et directeur artistique, renvoyée en ombre chinoise sur le drap blanc du début de représentation lui confère cet aspect imposant et mystique qui caractérise la soirée.
Ombres, formes angéliques, quasi obscurité, éclairages tamisés, scénographie sombre et costumes noirs accentuent l’ambiance fantomatique et apocalyptique de la représentation, qui se termine sur un son bourdonnant de fin du monde.
Les innovations et partis pris des artistes auront ainsi réussi à intriguer le public néanmoins, qui ressort après avoir fait trembler la salle sous ses applaudissements.