Roméo et Juliette version Bellini embrasent Trieste
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé dit le dicton, alors un autre Roméo et une autre Juliette (ces rôles étant confiés à des interprètes différents en alternance) et cette production mise en scène par Arnaud Bernard s’en trouve aussi métamorphosée.
Retrouvez ici notre compte-rendu de l’autre distribution de cette production
L’incarnation de ces deux amants-ci renforce l’oxymore de cette œuvre et de cette production, entre mélancolie et drame, dans une nuit au musée (les tableaux deviennent vivants). De fait, le travail choral masculin se fait d’autant plus violent, haineux même, poussant encore davantage les deux amants dans leurs retranchements (pour mieux en déborder théâtralement et vocalement).

Les voix graves du père Capulet et de son conseiller le médecin Lorenzo posent les fondements de la dramatique histoire, en creusant leurs timbres respectifs et en échanges avec les chœurs. Ils se répartissent même les rôles dans une dynamique qui s’annonce d’autant plus tragique : entre l’attitude et la voix protectrice d’Emanuele Cordaro (qui affirme d’emblée son soutien vocal) en Lorenzo, tandis que Paolo Battaglia en Capellio déploie la voix furieuse d’un père poussant sa fille au désespoir et la famille adverse à la rage (il allie pour ce faire la souplesse de la ligne de chant avec l’intensité des accentuations).

Tebaldo (Capulet promis à Juliette, rival de Roméo) est ici mis en première ligne. Marco Ciaponi joue ici pour jouir de tout son “bon droit”, affirmant dans sa voix sa certitude de défaire Roméo et de faire de Juliette son épouse. Le chant s’expose ainsi avec conviction mais il sait même, ensuite, par ses inflexions, montrer un amour véritable pour l’héroïne : alliant douceur du timbre et dynamisme rythmique pour accélérer son mariage.

Caterina Sala incarne l’amour puissant et aveugle de Juliette : elle ne semble littéralement pas voir devant elle, autre chose que la mort, mais elle avance pourtant tout droit. Sa voix met ses accents sur le contenu le plus romantique de son sort, son phrasé et son timbre épousant (à défaut de Roméo) les lignes de harpe et de violons, enfin rassérénée. Cette voix se fait alors chaude, pleine et riche, son legato chantant s'étend du médium à l’aigu par un volume intense.

En Roméo, Laura Verrecchia allie et alterne les caractères passionnés et intransigeants : l’amant et le guerrier, chevalier de musée prête à monter sur toutes les barricades de sa voix intense et irruptive. Ce Romeo a quelque chose d’une Jeanne d’Arc, une relecture puissante et captivante qui universalise les enjeux amoureux. La mezzo italienne y plonge aussi bien les accents de la colère que de l’émouvant sacrifice. Les articulations de Roméo, ses notes aspirées sonnent comme pleurs silencieusement criés.

Le chef d’orchestre Enrico Calesso dose pour cette représentation une accélération bienvenue (dès l’ouverture), apportant de la densité sonore. Le rythme se stabilise, et sait dès lors s’épancher sur le flot mélodieux, tout en conservant un caractère romanesque.

Cette deuxième représentation reçoit le grand succès d’une standing ovation, les interprètes s’enlaçant devant un public de matinée, dominical, et pourtant visiblement embrasé dans la ville du vent glacial.
