Voyages en récital avec Sandrine Piau et David Kadouch à l’Athénée
Dès ses quelques mots prononcés après les premières pièces de Schubert, David Kadouch annonce la couleur. L’idée de cette programmation est venue lorsque voyager était « fortement déconseillé voire impossible ». Le récital de ce soir sera une déclinaison des voyages possibles, sur des musiques de Schubert, Liszt, Schumann (Clara), Duparc, Lili Boulanger et Debussy, mettant en musique les mots de Goethe, Schiller, Heine, Duparc, Francis James, Baudelaire et Hugo.
Le travail fouillé, tant de recherche que de sélection, résulte manifestement d’un amour partagé pour la littérature. David Kadouch avait déjà eu l’occasion de l’exprimer, notamment lors de son travail thématique sur le personnage de Madame Bovary. Concernant Sandrine Piau, sa plume suffit à démontrer son affection pour les lettres. Cette dernière parle du voyage comme « de la quête d’un ailleurs fantasmé autant qu’inaccessible à l’ultime passage vers la mort, il dessine la cartographie de nos aspirations, de nos empêchements, mais aussi des "échappées belles" que nous offre la vie. »
Parler de passage vers la mort pourrait toutefois sembler mal à propos tant la cantatrice semble ne pas être affectée par le temps et demeure en maîtrise totale de son instrument. La longueur de souffle est toujours prégnante et le vibrato tenu se fait plus ample sur certaines notes longues dans les aigus sans toutefois jamais devenir outrancier. La rythmique est toujours en place, les voyelles sont claires, et la prononciation de l’allemand de fort bonne facture.
À l’exception de l’extrême gravité du timbre, la projection est affirmée mais c’est surtout dans les aigus qu’elle s’illustre. La technique demeure agile et l’intensité du timbre captive visiblement l’auditoire. Au-delà de ces éléments strictement vocaux, le programme lui permet de faire état de qualités narratives dépassant la simple théâtralité. Fait notable, les expressions faciales, la gestuelle et les mouvements du buste n’ont aucun impact, ni sur le souffle ni sur le son, et le rendu ne fait ainsi jamais les frais de cette intensité.
Le piano de David Kadouch a ce soir des airs de vitrail illuminant une église. Tout est pensé pour être en symbiose avec Sandrine Piau : la précision, le touché léger et ciselé, le cœur de suivre chaque variation d’intensité et d’émotion. Cela est particulièrement visible dans les regards subreptices qu’il jette à la soprane, et qui trahissent une telle connaissance de cette dernière, que ses simples légers changements de posture lui permettent de deviner quelles attaques et interprétations donner, ou comment finir pour être en harmonie. Le pianiste aura en outre ce soir deux soli, le Scherzo n°2 de Schumann ainsi que le Cortège de Lili Boulanger. N’étant plus alors tenu à l'impératif du duo, il s’abandonne à davantage d’expressivité et de relief plutôt qu’à une précise clarté qui aurait donné un rendu plus académique à ces pièces.
Chaleureusement applaudis tout au long du concert, le tandem s’autorise finalement deux rappels. L’ultime, sur une berceuse d’Ilse Weber que cette dernière chantait aux enfants lorsqu’elle était infirmière dans les camps de concentration (avant d'y mourir), distille une émotion palpable dans la salle. Le premier, extrait de la trop rarement donnée Courte Paille de Poulenc, s’intitule "La Reine de cœur" (qui pourrait aussi avoir valeur de surnom pour la cantatrice après une telle prestation).