Le Messie de Haendel dirigé par Franco Fagioli réchauffe la Chapelle Royale de Versailles
Les premières notes de la Sinfonia d’ouverture annoncent normalement à quel type d’interprétation il sera donné d’assister : l’élégance naturelle des Arts Florissants d’un William Christie, la multitude de détails et les accents chambristes, quasi-madrigaux du Concert d’Astrée d’Emmanuelle Haïm ou bien la souplesse et les chaudes couleurs baroques du Concert des Nations de Jordi Savall, entre autres. Cette règle souffre toutefois ce soir d’une exception climatique eut égard eu lieu. En effet, les températures durablement négatives ont eu raison des 26 mètres de hauteur sous plafond et des vitraux et il y fera significativement plus froid que dans n’importe quel auditorium. Conséquence logique, les doigts sont légèrement engourdis dans les premières secondes et le rendu initial laisse trop de places aux violons ainsi qu’au basson. Ce bémol s’atténuera toutefois dès la fugue, puis disparaitra finalement dès le Comfort ye, Comfort ye my people, littéralement confortant.
Ce Messie là aura fait plaisir au public français
Franco Fagioli, contre-ténor superstar, effectue ce soir ses débuts européens à la direction, et il ne boude pas son plaisir. Les tempi sont enlevés, et sa gestuelle trahit des habitudes davantage vocales qu’orchestrales mais surtout une approche plus holistique (globale) qu’analytique de la partition. Les mouvements s’amplifieront au fur et à mesure de l’œuvre, et sur la fin il frisera même le mime des attaques de cordes à la façon d’un Leonardo García Alarcón. L’engagement physique est parfois tel que les micros de plusieurs pupitres tremblent durant ses flexions et extensions alternées (charge aux ingénieurs du son de faire en sorte que l’enregistrement réalisé ce soir là n’en pâtisse pas).
Conséquence logique, les Chœurs de Chambre du Palais de la Musique Catalane de Barcelone sont entre des mains expertes, et très précisément dirigés. Les notes longues sont exquises et semblent jaillir de l’autel. La prononciation, à l’exception des sonorités légèrement ibériques d’un « unto us a son is given » des ténors, est impeccable. Les vocalises nettes, bien marquées et la rythmique est parfaitement en place. Les plus longs passages vocalisant en canon pâtissent toutefois de l’acoustique qui vient atténuer leur précision. À de rares moments, les pupitres masculins prennent légèrement le dessus sur les féminins, avec une légère baisse de précision sur les rythmiques traitresses de His yoke is easy, mais l’ensemble se reprend dans les passages a cappella.
Passées les premières secondes durant lesquelles l’un des premiers violons, probablement à cause du froid, n’arrive pas à suivre les ornements de ses pairs, l’Orchestre de l’Opéra Royal livre une prestation précise, claire et fait honneur à la direction bondissante de Fagioli. C’est dans l’utilisation des silences qu’il déploie le plus de délices et fait preuve d’une synchronisation excellente, permettant alors aux échos de s’étendre longuement dans les travées. Dans les passages les plus célèbres de l’oratorio, tout est parfaitement en place et l’équilibre impeccable entre les différents pupitres.
Le timbre chaud et la tessiture dramatique de Marie Lys, soprano habituée au répertoire baroque, viennent sertir un vibrato toujours bien dosé. L’articulation est toujours présente, et la technique agile. Seul micro-bémol, une discrète baisse d’intensité sur la fin des vocalises les plus longues, lorsque ces dernières finissent dans le grave de sa tessiture semble traduire un léger manque de souffle à quelques occasions. Mais la clarté donne un résultat très doux et pur.
Margherita Maria Sala, contralto, utilise son timbre large pour livrer une interprétation tout en légèreté et en souplesse nonobstant sa technique plus forcée. Elle semble toutefois avoir fait les frais des températures glaciales : un léger voile dans les aigus ainsi qu’une respiration plus bruyante semblent traduire la morsure du froid. Les graves manquent par moment de puissance, mais les aigus sont fuselés et ces quelques difficultés conjoncturelles sont contenues par sa musicalité ainsi qu’une réelle écoute de l’orchestre qui lui permettent de livrer une prestation tout en relief. De même, l’attaque des notes tout en rondeur est pleinement seyante à l’acoustique du lieu, la rythmique et l’intensité dramatique sont remarquées de cohérence.
Pablo Bemsch, ténor habitué aux plus grosses phalanges, est presque trop tonitruant dès son entrée en scène. Son engagement théâtral et la palette des émotions utilisées lui confèrent des allures d’évangélistes d’une passion bachoise. La tessiture est dramatique et la longueur de souffle très bonne, mais une discrète inclinaison latérale de la tête dans les aigus vocalisant trahit une technique légèrement tirée. Le timbre est clair, limite perçant et aurait pu souffrir davantage de nuance.
Enfin, la basse Alex Rosen marque par son aisance. Vocalement tout d’abord, puisque les redoutables vocalises messianiques lui permettent de montrer une virtuosité aux allures naturelles, déconcertante pour nombre de basses, ainsi qu’une excellente mise en place rythmique. Scéniquement ensuite, puisque même sa seule petite confusion dans le texte apparaitra invisible à la quasi-totalité des spectateurs. Le timbre est large, tout en puissance et l’intensité est constante sur l’ensemble de sa tessiture, y compris sur les graves extrêmes. Même en dehors des passages chantés, le sourire en coin permanent traduit un réel plaisir d’être là, communicatif.
Ce Messie là (également emmené par un Argentin) joue aussi les prolongations. Malgré un chronométrage annonçant initialement 2h40 de concert, c’est finalement après 3h10 que l’Amen final retentit. Cela n’empêche pas le public charmé nonobstant le froid d’offrir une standing ovation à l’ensemble du plateau, entrecoupée, d’un bis sur le Hallelujah.