Touchante Bohème en direct de Londres
Les spectateurs s'installent confortablement dans leur siège de cinéma et rejoignent ainsi à distance ceux du Royal Opera House, en étant même accueillis, par la présentatrice (et "surfeuse") Elle Osili-Wood.
Cette mise en scène inaugurée en 2017 par Richard Jones et reprise par Danielle Urbas ne s’écarte pas des intentions de l’œuvre, plaçant l’intrigue dans le XIXe siècle parisien, lors d’un hiver rude où la neige tombe constamment. Des changements de décors se font à vue, dans un silence d’où émanent seuls quelques craquements du bois qui se déplace (tandis que la neige tombe encore). Ces décors (de Stewart Laing) sont essentiellement constitués de grande boîtes qui jouent (beaucoup) sur les perspectives en profondeur, tout en stockant les éléments scéniques suivants sur les côtés (qui servent aussi de coulisses). La mansarde initiale et finale semble étroite et lointaine, mais elle est rendue comme un proche huis-clos grâce à la réalisation cinématographique. Les galeries lumineuses et le restaurant Momus plein à craquer contrastent par leur animation mais dans un univers toujours vaste et glacial, rappelant le destin des personnages. De la même manière, la direction d'acteurs classique laisse aussi place à quelques libertés et moments de légèreté.
Andrey Zhilikhovsky se saisit d'emblée de son personnage Marcello (le peintre), avec son regard pénétrant et sa voix chaude et large. Son investissement scénique et vocal brosse de fines nuances, notamment en duo avec Rodolfo. Juan Diego Flórez offre à ce poète son timbre très clair, limpide, à la diction toujours brillante (particulièrement dans les aigus, naturels et parfois héroïques). Les phrasés sont sensibles et à propos avec sa présence scénique. Le groupe d’amis est complété par le musicien Schaunard, avec la voix large de Ross Ramgobin, d'un beau grain et sûre (tandis que son jeu est un peu convenu), ainsi que par le philosophe Colline Michael Mofidian tirant un parti très sonore de ses courtes interventions avant de pleinement déployer sa voix et assurer son jeu lors de son grand air du vieux manteau "Vecchia zimarra", sombre et grave.
Lors des saluts, le public ne cache pas sa satisfaction envers l’interprétation des rôles féminins, à commencer par la touchante Mimì de la soprano Ailyn Pérez. Les larmes qui coulent sur ses joues se transmettent certainement à plus d'un spectateur en salles (à l'opéra comme aux cinémas), tissant la compassion pour cette innocente petite brodeuse avec la luminosité de sa voix et la sensibilité de son chant, qui conserve la rondeur du timbre. Son amie, la sulfureuse et généreuse (surtout de sa voix et avec l’argent des autres) Musetta est incarnée par la soprano Danielle de Niese, toujours expressive et charmeuse, dans le rire ou les pleurs hauts en couleurs : les couleurs de sa palette de timbre, qu’elle déploie avec générosité et une touche de velours. Dans sa courte intervention, Jeremy White en Benoît joue le propriétaire floué, avec une certaine malice et toute une gamme de timbres, déployant un peu sa voix ample : peignant un personnage imposant mais ridiculisé (et vice versa).
Enfin, Wyn Pencarreg propose un timbre plein et présent en Alcindoro (riche conseiller d'Etat floué par Musetta), Andrew Macnair montre autant d'aisance et de clarté en joyeux vendeur de jouets Parpignol. La basse John Morrissey et le baryton-basse Thomas Barnard, tous deux membres du Chœur, campent l'autorité seyant à leurs rôles de douaniers.
Le Chœur de l'Opéra Royal assume avec efficacité ses courtes interventions, et ce sont les 19 enfants qui impressionnent par la clarté et la précision de leur chant. Sous la direction du jeune Kevin John Edusei, l’Orchestre du Royal Opera House fait entendre un son toujours homogène (certains passages pourraient être un peu plus pétillants et la direction globalement plus vivante, emmenant les chanteurs plutôt que l'inverse).
Les spectateurs du Royal Opera House applaudissent chaleureusement les artistes de la soirée, tandis que les spectateurs des cinémas s’apprêtent à quitter la salle avec ces douces mélodies en tête comme dans le cœur.
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