Like Flesh : la déforestation pour sujet à l’Opéra national de Lorraine
La thématique, mélangeant une forme d’écologie politique autour de la déforestation et l’idée de la métamorphose en arbre de la femme d’un forestier, à la manière d’une Daphné échappant à Apollon, se fonde sur un livret en anglais de Cordelia Lynn. L’histoire tourne autour d’une idée plutôt simple dans sa dynamique : la femme d’un forestier s’ennuie depuis son mariage avec celui-ci. Une étudiante passe non loin pour étudier la forêt et loge chez le couple. De là, naît une histoire d’amour impossible entre l’étudiante et la femme, qui conduit cette dernière à se métamorphoser en arbre pour échapper à la monotonie de son couple et pour se rapprocher de manière originale de l’étudiante.
Notre Compte-Rendu du Nancy Opera Xperience #2 “Rendez-vous près du feu”
La mise en scène et scénographie de Silvia Costa n’utilise d’artifice que participant à la dramaturgie. La scène se « creuse » comme si des cailloux s’enfonçaient autour d’un arbre, mais nulle exubérance de décors : la forêt n’est qu’imaginée par des projections vidéo IA (générées par Intelligence Artificielle) de Francesco d’Abbraccio, très organiques et poétiques, et parfois très réalistes. Les dominantes de couleur, d’une part le rouge symbole de destruction, et d’autre part des nuances de vert et de marron symbole de la nature, sont offertes par les lumières d’Andrea Sanson. Les costumes, créés par Laura Dondoli, sont d’inspiration rurale classique, favorisant l’immersion du public dans une histoire contemporaine et (presque) vraisemblable.
Matthieu Dussouillez, Directeur de l’Opéra de Nancy, mise sur « L'Émotion » en 2022/2023
La musique est pour l’essentiel d’esthétique contemporaine. L’Orchestre sonorisé réunit un quintette à cordes, à peine plus de vents, mais aussi piano, accordéon, des percussions et un synthétiseur le tout dans une immersion accrue grâce à la soixantaine de hauts-parleurs répartis sous des sièges du parterre et du premier balcon de la salle de l’opéra. Le réalisateur en informatique musicale, Augustin Muller, se charge de l'exécution de cette partition numérique, tandis que la mise en espace sonore pendant l’opéra est confiée à Florent Derex. Les premiers sons entendus dès l’ouverture de l’opéra sont des bourdons et des nappes juxtaposées et superposées, dans un registre grave médium, une technique assez répandue dans le monde de l’IRCAM depuis les années 1990, tout comme les granulations de sons et les souffles, qui sont aussi des modèles sonores symbolisant les mouvements de feuilles, de sèves et de racines habituellement non audibles par le genre humain.
Quand apparaît pour la première fois l’Étudiante, incarnée par la soprano Juliette Allen, une première mise en relief spectaculaire et efficace de l’orchestre se fait entendre dans les extrêmes aigus, notamment par des fragments mélodiques, lointains rappels des sonorités dans le Presto du Kammerkonzert de Ligeti. La soprano, arrivant sur scène avec un bras en feu, entonne alors son premier chant, très syllabique, avec beaucoup de vibrato, tout en permettant une très grande intelligibilité du texte chanté en anglais. Elle continue de s’approprier ce rôle qu’elle a créé à Lille (les trois protagonistes lillois reprennent ici leur rôle), avec une aisance théâtrale et une voix claire, à la fois brillante et capable de puissance.
La contralto Helena Rasker, aussi rompue à son rôle de Femme-Arbre qu'aux prestations vocales classiques ou contemporaines (notamment avec l’Ensemble Intercontemporain à Paris) chante d’une manière très assurée, avec une intelligibilité naturelle (notamment des consonnes). Sa voix ronde sans excès, assume des parties de chant dans l’extrême grave de sa tessiture, affichant un vibrato plutôt épais qui n’a pas d’incidence particulière sur sa justesse musicale.
La voix d’homme parmi les trois personnages principaux est celle du Forestier. A l’image d’un homme robuste mais qui prend de l’âge, le baryton William Dazeley agit sur sa voix pour la rendre un peu blanche, sans être trop sifflante. Sans avoir une aussi grande puissance de projection vocale que les deux chanteuses principales, il tient ses mélodies dans une stabilité que son vibrato n’affaiblit pas. Audible et intelligible, il est un forestier à la crédibilité parfois stupéfiante.
Le chœur, à l’antique, formé des six chanteurs Florent Baffi, Sean Clayton, Hélène Fauchère, Guilhem Terrail, Emmanuelle Jakubek et Thill Mantero (ces deux derniers remplaçant Adèle Carlier et René Ramos Premier actuellement pris par une autre Dafné et par Lakmé), représente La Forêt. Tour à tour sur scène, portant notamment une courte grume, ou hors-scène, ils sont un, et ponctuent l’histoire de commentaires musicaux le plus souvent en homorythmie (chantant en même temps le même texte traité d’une manière syllabique). Dotés tous d’un vibrato assez unifié, ils sont perçus comme globalement justes en terme d’intonation et de rigueur dans la phraséologie musicale, quoique parfois légèrement asynchrones pour poser certaines consonnes.
Malgré le départ de deux membres du public proches de la scène après une heure, le public resté jusqu’au bout d’une heure vingt-deux de spectacle, jeune au premier balcon, applaudit la performance pendant 6 minutes, faisant avancer par trois fois les chanteurs, la metteuse en scène et la compositrice, au devant de la scène.