Au Festival Volcadiva, la poésie du récital
Depuis sa création en 1998 à Royat-Chamalières, domaine thermal niché sur les hauteurs de Clermont-Ferrand, le Festival des Volcans d’Auvergne, mieux connu aujourd’hui sous l’identité de Volcadiva, a vu défiler un grand nombre de chanteurs à la notoriété aujourd’hui bien établie, d’Anaïs Constans à Stanislas de Barbeyrac en passant par Hélène Carpentier (ces deux derniers ayant été entendus dernièrement à Bruxelles dans Fidelio dirigé par Laurence Equilbey). Pour cette édition 2022, la liste des invités est tout aussi prometteuse, avec Charlotte Bonnet qui a fait ses débuts à Bastille en mars dernier, le contre-ténor Léo Fernique qui avait fait sensation ici même il y a trois ans, ou encore les sopranos Inés Lorans et Caroline MacPhie (respectivement accompagnés par Pauline Billi, Vincent Forestier, Olivier Besnard et Marieke Hofmann).
Enfin, le baryton français Benoît Capt vient en ce soir de clôture du Festival proposer un récital tout en poésie, centré sur le couple Schumann. De Clara sont ainsi joués les Six Lieder opus 13 composés en 1842, qui mettent en musique des poèmes de Heinrich Heine et Emanuel Geibel teintés d’onirisme, où il est question d’amour et de rêverie, mais aussi d’une nature dont le lotus bleu serait un paisible ambassadeur (le Lied “Die Stille Lotosblume” venant conclure le cycle). De cette œuvre que des sopranos ont aussi su magnifier, Benoît Capt s’empare avec la puissance poétique requise, son timbre d’une exquise netteté tissant le trait d’une interprétation qui jamais ne perd en sensibilité ni en éloquence. Chanteur appliqué, avec une voix chaude s’appuyant sur un medium robuste, le baryton restitue pleinement toutes les émotions et états d’esprit dont il est ici question, qu’il s’agisse d’évoquer de sombres rêveries, un amour semblable à un champ de roses, ou une lune qui doucement se lève sur la maison d’une bien aimée. Par le soin porté à un phrasé d’une constante intelligibilité, par le souci d’appuyer chaque consonne, et de faire vivre chaque voyelle sur l’appui d’un souffle de parfaite tenue, le chanteur-conteur rend compréhensible la teneur de chacun des poèmes, et ce même pour qui ne maîtrise pas l’allemand (ce qui n’est pas le cas de Benoît Capt dont la diction de la langue de Goethe doit sans doute beaucoup à ses années de formation au conservatoire Mendelssohn de Leipzig).
Le chanteur se fait poète
L’élégance oratoire reste tout aussi appréciable dans l’interprétation des Dichterliebe, ces Amours du Poète que Robert Schumann mit en musique en 1840, soit l’année de son mariage avec Clara Wieck. De ces 16 poèmes écrits par Heinrich Heine, grand maître de l’école romantique allemande, Benoît Capt extrait là aussi toute la force narrative, avec un chant passionné, et même enflammé au besoin, par une voix d’une sonorité toujours homogène qui sait aussi glisser avec maîtrise vers des nuances pianissimo délicieusement éthérées. Les notes savent se faire bondissantes aussi bien que mélancoliques, la ligne de chant restant perpétuellement mélodieuse et polie avec des manières d’orfèvre. Benoît Capt ne chante pas de la poésie, il se fait poète lui-même, décrivant avec autant de conviction des sentiments de passion, de nostalgie et de désespoir qui se succèdent sans transition en un même élan de tourment.
Derrière son piano, Xavier Dami avance de ses deux mains sensibles et si habiles sur le chemin de souffrance emprunté par son partenaire de scène. Plus qu’un accompagnateur, l’instrumentiste virtuose se mue en compagnon de souffrance, en partenaire d’un dialogue où jamais il ne cherche à prendre l’ascendant, sinon pour donner plus de relief encore à ces strophes emplies d’un poignant romantisme. Un duo à l’entente continue en somme et qui, deux ans après avoir dû annuler ici-même un concert qui devait être consacré à Glenn Miller, conclut la soirée avec deux bis donnant l’occasion à Benoît Capt de se glisser d’abord avec gourmandise dans les traits de Papageno, puis d’aborder le registre de la chanson populaire avec le “Who is Sylvia” de Gerald Finzi. De quoi terminer le concert sur une note enjouée au plus grand ravissement d’un public heureux d’avoir pu renouer avec son rendez-vous annuel de Volcadiva.