Cyrille Dubois, Tristan Raës et Maître Fauré à l’Opéra de Rennes
Ce programme conçu avec minutie par les deux musiciens souligne le rôle essentiel tenu par Gabriel Fauré dans l’évolution de la musique française à la charnière du XIXème et XXème siècle, en tant que compositeur et pédagogue. Le choix des mélodies souligne la subtilité de son univers poétique, l’audace de ses constructions harmoniques et la qualité superlative de sa prosodie. Sous l’apparent classicisme (post-romantique) du maître se manifeste par ailleurs une modernité qu’il léguera en héritage à ses élèves. Les interprètes alternent de fait ici des pièces fauréennes avec des mélodies d’autres compositeurs lui étant contemporains (dont ses élèves) tout en suivant de façon cohérente l’évolution stylistique du maître.
Le ténor Cyrille Dubois sait moduler sa voix pour exprimer les sentiments amoureux contrastés, enchaîner par des explications sur le programme et une mélodie de Benjamin Godard, puis Les Berceaux et Clair de lune de Fauré dialoguent avec L’Invitation au voyage de Duparc, ou encore Arpège avec Heures ternes (Nadia Boulanger). Le ton est donné d'emblée, celui d'une diction naturelle et soignée du chanteur, avec un sens de la dramatisation dosé sans le moindre excès démonstratif, le timbre coloré de Cyrille Dubois lui autorisant les plus délicates inflexions et les plus précises nuances.
L’interprétation expressive (sans suavité convenue) et le respect des tempi sont au service de la finesse poétique des textes tandis que certaines mélodies moins connues impressionnent par le contraste entre épure et virtuosité.
La voix d’une grande souplesse montre une facilité déconcertante à passer du registre grave pianissimo à celui de l’aigu fortissimo, d’une expression intense pour revenir à une ligne mélodique épurée, presque murmurée, dans un phrasé maîtrisé, jusqu’à faire frissonner l’auditoire lorsque qu’il déclame « moi, j’attends un peu de soleil sur mes mains que la lune glace ».
Cyrille Dubois enchaîne les mélodies sans faire de pause, si ce n’est le temps des applaudissements de plus en plus nourris au fil de la soirée ou lorsqu’il cherche une partition, ou encore lorsque Tristan Raës en oublie une. La complicité est alors palpable entre le chanteur et son pianiste pleinement en phase avec le sens du phrasé mélodique qui répond dans son jeu en écho aux intentions expressives de « son » chanteur.
Ce récital est aussi l'occasion d'annoncer la sortie du coffret consacré à l’intégrale des mélodies de Fauré représentant 3h50 de musique, « plus long qu’un opéra de Wagner » précise-t-il avec humour !
En bis, il propose une facette du compositeur non abordée dans ce récital, la facette religieuse avec une mélodie intitulée Noël puis « un peu de sucrerie » avec Chanson d’amour et enfin l’incontournable Après un rêve.
Après avoir salué une dernière fois son public enthousiaste, il touche le sol de ses mains, peut-être pour se remémorer le temps où il fut membre du Chœur de l’Opéra de Rennes, là où son rêve de devenir chanteur prit forme.