Un Ange de feu à haute tension à l’Opéra de Lyon
L'Ange de feu de Prokofiev débute sur les chapeaux de roues, sans introduction orchestrale : dans une auberge, une femme, Renata, est possédée par des démons et reçoit l’aide d’un étranger, Ruprecht, dont elle connait le nom sans qu'il le lui ait dit. Le décor est planté. Le spectateur s’élance dans une expérience opératique de cinq actes déroulés en deux heures sans entracte, durant lesquelles la tension ne se relâche jamais jusqu’à un finale à couper le souffle au cours duquel est atteint le climax. Le Directeur musical de l’Opéra de Lyon, Kazushi Ono, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, tient cette tension à bout de baguette, exaltant les graves et produisant par moment une puissance instrumentale saisissante. Le chœur de femmes, dont le rôle est majeur dans le dernier acte, dégage quant à lui une grande intensité vocale et dramatique.
La scénographie imaginée par Benedict Andrews (mise en scène) et Johannes Schütz (décors) est d’une simplicité mais d’une créativité et d’une précision remarquables : des cloisons sont montées et démontées tout au long de l’opéra sur un plateau tournant, sans que le même effet ne soit jamais reproduit. Le dispositif, qui aurait pu… tourner en rond, évite ainsi tout effet de lassitude. Les éclairages de Diego Leetz parviennent à créer différentes ambiances malgré l’utilisation de cloisons identiques dans de multiples configurations.
Ausrine Stundyte, Laurent Naouri et leurs clones dans l'Ange de feu (© Jean-Pierre Maurin)
Ainsi, lorsque l’opéra débute, le décor présente des chambres de motel, lugubres et étriquées. Alors que Renata, délivrée de ses démons, raconte son histoire, le plateau tourne, dévoilant, dans une succession de chambres similaires, des doubles -enfants ou adolescents- de la jeune femme, évoquant son passé troublé. Puis, lorsque les deux protagonistes quittent les lieux, des clones des deux personnages démontent les cloisons et transforment le plateau sans que la tournette ne cesse son activité. Plus tard, durant le duel opposant Ruprecht à Heinrich, l’incarnation terrestre de Mediel, l’Ange de feu qui rendait visite à Renata durant son enfance, le plateau tourne à une vitesse vertigineuse, les cloisons formant trois pièces dévoilant à chaque tour des visions cauchemardesques des personnages ou de leurs clones. Là encore l’effet est saisissant. Enfin, au cours du dernier acte, tandis que Renata prie à l’avant-scène, les clones des deux personnages principaux installent des dizaines de cloisons au fur et à mesure que le plateau tourne, formant autant de cellules dans lesquelles des sœurs s’installent en position de prière. Puis, tandis que les sœurs sont peu à peu possédées par des démons et que la confusion règne, les cloisons pivotent pour former un large paravent circulaire. C’est là, dérobée aux regards du public, que Renata se réfugie dans les derniers instants, après s’être aspergée d’essence, pour trouver enfin la paix : une puissante flamme s’élève alors dans le théâtre, chauffant le visage des spectateurs et laissant derrière elle une épaisse fumée.
Brasier final de L'Ange de feu mis en scène par Benedict Andrews (© Jean-Pierre Maurin)
Si l’ensemble fonctionne si bien, c’est également grâce à l’incarnation des deux personnages principaux. Renata bénéficie de l’interprétation de la soprano lituanienne Ausrine Stundyte, déjà excellente dans Lady Macbeth du district de Mzensk in loco l'an dernier. Son rôle, d’une grande exigence vocale, nécessite également un investissement scénique de tous les instants. Habitée par le démon, elle ne peut laisser la tension retomber : les nerfs à vifs, elle se convulsionne, court, se jette par terre et se contorsionne. Si ses premières interventions manquent de puissance, sa voix se chauffe au fil de son premier monologue, déployant des graves dramatiques au large vibrato. Elle parvient à conserver une ligne vocale précise et juste malgré l’essoufflement provoqué à certains moments par un jeu très physique.
Ausrine Stundyte et Laurent Naouri dans l'Ange de feu (© Jean-Pierre Maurin)
Face à elle, Laurent Naouri impressionne : sa puissance vocale permet à sa voix de ressortir y compris lorsqu’il se trouve placé en fond de scène. Son timbre majestueux, sa voix ample et son jeu de comédien font merveille. Le caractère grinçant de certaines situations imaginées par Prokofiev est parfaitement restitué, avec un évident plaisir malgré le caractère dramatique de l’œuvre. Chaque situation est jouée avec justesse, y compris lorsqu’il se trouve « hors chant ».
Les rôles secondaires sont également au niveau : l’Agrippa et le Méphistophélès de Dmitry Golovnin, dont le timbre d'airain est typique du ténor russe, est très efficace, l’Inquisiteur est interprété avec autorité (mais une projection manquant de puissance) par Almas Svilpa, Faust bénéficie des graves profonds de Taras Shtonda, les mezzo-sopranos Margarita Nekrasova (l’Hôtesse) et Mairam Sokolova (la Voyante et la Mère supérieure) ont en commun des graves vertigineux qui n’auraient rien à envier à des contraltos. La salle, pleine, termine le spectacle ravi, réservant de longues ovations aux artistes.
Pour assister à l'une des dernières représentations de l'Ange de feu à Lyon, réservez vos places ici.
D'accord ? Pas d'accord ? Laissez votre avis dans l'espace de commentaires ci-dessous !