Juan Diego Flórez enchante Florence dans Roméo et Juliette
La mise en scène du Roméo et Juliette de Gounod à l’Opéra de Florence par Frederic Wake-Walker revêt une certaine simplicité : pas de balcon ici, mais quatre portiques dessinant l’ossature d’une maison, sculptent les espaces et dessinent les ambiances par leurs mouvements (les danseurs les déplaçant de cour à jardin puis de jardin à cour). Un cercle oculaire habille le fond de scène de visuels mystérieux, comme cette rosace de cathédrale qui accompagne la nuit d’amour des amants à l’acte IV. Anna Olkhovaya confie à huit danseurs androgynes des chorégraphies à l’esthétique classique, poussant l’expressivité jusqu’au macabre.
Juan Diego Flórez trouve en Roméo un rôle à sa mesure. Son français impeccable épouse sa grande musicalité pour glorifier une voix mature et épaisse aux aigus fermes et éclatants, puissants ou caressants, toujours maîtrisés, jusqu’au bout de ses longues tenues concluant ses interventions. Le timbre est riche et coloré, le phrasé doux et subtil. Il est ovationné après chaque intervention par un public pourtant timide.
Valentina Naforniță est quant à elle une Juliette gracieuse dont la candeur vire à la minauderie. La voix est d’une grande agilité, tant dans les trilles fins que dans les vocalises auxquelles elle prend soin de donner un sens dramaturgique. Son timbre a du corps, ce qui renforce sa prestance dans les passages tragiques, mais elle sait alléger sa voix par une dentelle de nuances pour renforcer la légèreté du personnage qu’elle dépeint. Sa Juliette veut vivre et ses aigus exaltent la vigueur de sa jeunesse, mais ses graves se font rocailleux lorsque le drame survient.
Frère Laurent trouve en Evgeny Stavinsky une voix ferme, noble et sentencieuse de sage (bien que jeune ici) prédicateur au timbre crépusculaire, malgré un léger voile. Son souffle long lui permet de tracer des phrasés pénétrants. Alessio Arduini apporte sa fougue à un Mercutio extraverti et railleur, au français compréhensible. Son timbre sombre aux aigus chatoyants porte un chant nuancé. Sa large émission s’appuie sur une belle maîtrise des résonateurs. Giorgio Misseri incarne Tybalt, fier et arrogant, d’une voix de ténor dont le timbre a la chaleur latine, mais dont le large vibrato déséquilibre la ligne. Vasilisa Berzhanskaya chante Stéphano sur des talons hauts, jouant ainsi sur l’ambiguïté permise par le travestissement du personnage, sans toutefois que cela n’ait le moindre apport dramaturgique. La voix soyeuse et capiteuse de la mezzo-soprano est légèrement nasale dans l’aigu. L’insouciance du personnage est rendue par la vigueur du phrasé, l’agilité de la voix et un vibrato mélodieux.
Francesco Milanese est un Capulet jeune mais sage, à la basse relativement claire, au timbre corsé. Son phrasé anguleux apporte une certaine vivacité à son chant puissant. Xenia Tziouvaras campe Gertrude, nourrice intéressante par sa présence scénique, sa belle diction française, et sa voix ancrée au timbre chaud et maternant. En Pâris, Francesco Samuele Venuti expose une voix caverneuse. Le Duc de Vérone peut tonner d’un timbre de pierre grâce à Adriano Gramigni. La prosodie cérémoniale est ciselée, donnant du relief à ses quatre interventions. Grégorio trouve en Eduardo Martinez un interprète au timbre mat et étouffé (comme certaines syllabes) dans un grave inquiétant par une couverture exagérée de la voix. Lulama Taifasi reste trop en retrait en Benvolio sur ses courtes interventions.
Henrik Nánási obtient de l’Orchestre du Maggio Musicale des couleurs très variées, de la puissance sombre de l’ouverture à la fine délicatesse de l’introduction de l’acte II en passant par le lyrisme marqué de celle de l’acte IV. La fête de l’acte I est pesante, comme déjà chargée du drame à venir. Le Chœur est encore masqué (tout comme le public), ce qui génère un son diffus malgré l’homogénéité des timbres. La chorégraphie (certes moins inspirée que celle des danseurs) qui lui est demandée est effectuée avec rigueur, mais avec un certain détachement.
La mort des amants est étonnamment célébrée par une explosion de confettis, avant que les saluts ne célèbrent l’ensemble du plateau, offrant, bien entendu, une chaleur plus marquée aux deux rôles-titre, Juan Diego Flórez bénéficiant d’une réelle ovation.