Così fan tutte par Laurent Pelly, derrière un micro mais sur le plateau du TCE
La scénographie de Chantal Thomas représente une grande salle d'enregistrement inspirée d’un studio est-allemand où se côtoient pêle-mêle micros, câbles, pupitres, chaises métalliques, techniciens et les quatre amants, entre chauffe, ennui ou relaxation, prêts à enregistrer une version du Così fan tutte de Mozart.
L'histoire est d'abord amorcée par l'énergie de la fosse qui vient peu à peu rythmer les corps chantant, dans un mouvement tirant vite la séance d'enregistrement vers une réalité autre, transformant la froideur de la salle en un espace de jeu où tous les objets finissent par perdre leur emploi premier pour mieux servir le drame. Les sorties de secours deviennent ainsi les chambres des deux femmes, les banquettes recueillent les larmes, et les chanteurs s’éloignent peu à peu des micros pour se rapprocher des personnages afin de les faire exister. Cependant, si les interprètes déambulent avec frénésie et conviction sur scène, certains effets répétés (notamment les techniciens qui s'offusquent et réorientent les chanteurs) paraissent redondants comme ces autres microphones qui tombent du ciel. Malgré une énergie franche de la part du plateau, l'idée de la mise en scène la ramène paradoxalement à une mise en espace et même à un concert enregistré, n'affrontant pas les questions posées par ce drame avec une lecture englobante.
Vannina Santoni est une Fiordiligi à la voix claire, émise avec force et expressivité. Le jeu, très naturel, est nerveux et donne parfois au timbre quelque chose de sourd, notamment dans le registre aigu. Si les graves sont peu sonores, l’ensemble conserve une homogénéité qui sied à la jeunesse et à l’intégrité du personnage. Gaëlle Arquez est une Dorabella à la voix sombre et à l’émission voluptueuse, au détriment parfois d’une légèreté bienvenue, ce qui a tendance à hacher la ligne de chant et rend la projection intermittente. La Despina de Laurène Paternò est espiègle à souhait et apporte sa silhouette dégingandée tout à fait appropriée au personnage. La voix pincée (parfois nasale), possède de jolies couleurs dans le médium et une capacité à se hisser facilement aux extrémités de la tessiture.
Le Ferrando de Cyrille Dubois, tout en retenue, a pour lui une capacité à nuancer le son jusqu’à de séduisants piani qui, cependant, se détachent trop souvent de la ligne de chant, empêchant à la voix de conserver ses couleurs sur tout l’ambitus. Le haut du registre grave est un peu tremblotant et les notes basses très confidentielles. Florian Sempey donne à Guglielmo sa voix sombre et brillante mais aussi une truculence qui tire le rôle vers l'humour (plus que vers l’amant en détresse). Le timbre est rond, même si sa richesse s'amoindrit quelque peu lorsque l’émission devient trop glottique. Laurent Naouri, enfin, en Don Alfonso, s’amuse dans un rôle qui convient à ses moyens actuels, proposant un portrait attachant dont l’humour et les effets font mouche : la voix rebondit et se projette avec un lyrisme affirmé et spirituel, phrasé et délié.
Emmanuelle Haïm, à la tête de son ensemble Le Concert d’Astrée propose une lecture souvent rapide de l’œuvre, avec des contrastes appuyés et des tempi lestes qui ne laissent pas à la phrase mozartienne le temps de s’épanouir pleinement. La dimension théâtrale est pourtant très présente et l’orchestre offre une palette de nuances. La cohérence du tutti n'est toutefois pas constante dans les ensembles, où certains instruments prennent le pas sur la mélodie. Le chœur Unikanti, préparé par Gaël Darchen, offre à entendre une belle homogénéité mais sans legato, ce qui entraîne un phrasé saccadé.
Le public, très heureux de cette soirée, réagit aux espiègleries des personnages et à l’humour des situations, applaudissant avec joie les interprètes lorsque tombe le rideau.