La Terre tourne à l'Opéra de Limoges, nouvelle étape du Voyage dans la Lune
Le vaisseau est bien lancé, désormais, après un départ contrarié par la crise sanitaire à Montpellier fin 2020 (nous avions assisté aux répétitions). Et, après un début de tournée l’ayant déjà mené à Marseille et plus récemment à Nice, Le Voyage dans la Lune porté par Génération Opéra (ex-Centre Français de Promotion Lyrique) arrive à Limoges porté par une tempête de joyeuse et drôlatique fantaisie. L’époque et ses tourments appellent plus que jamais au rire et au divertissement et, assurément, ce spectacle a de quoi combler les attentes en la matière, en plus de permettre la redécouverte d’une œuvre qui n’est pas la plus connue ni la plus jouée d’Offenbach. Aussi, dans son intention de “faire renaître” cette partition, le metteur en scène Olivier Fredj parvient-il à préserver la féérie inhérente au livret tout en donnant un relief nouveau à ce qui, au fond, est un conte atemporel : la rencontre entre les habitants de deux mondes, la Terre et la Lune, qui d’abord se regardent d’un œil méfiant et distant avant de se rapprocher et de s’apprivoiser, force de l’Amour aidant. Une fable sur l’altérité qui prend ici la forme d’un tournage de film, avec des perchistes et régisseurs traversant un plateau se fermant et s’ouvrant au gré des mouvements d’un obturateur géant placé en devant de scène.
Toujours dans cette ambiance cinématographique, des images vidéo diffusées en fond de scène évoquent à la fois un décor industriel à la façon du Metropolis de Fritz Lang, mais aussi la surface de la Lune qui semble ici se confondre avec les abysses de l’océan. Un océan qui serait cet endroit où il n’est au fond plus question de Terre et de Lune, mais d’un espace neutre propre à accueillir des querelles et des quiproquos suivis de près par Offenbach en personne, lui dont le visage est ici projeté entre chaque acte à la manière du Voyage dans la Lune de Méliès, autre référence cinématographique clairement assumée. On tourne, donc, mais on rigole aussi beaucoup, avec un spectacle où se distinguent les efficaces jeux de lumières de Nathalie Perrier, qui joue de la sombreur globale de l’espace scénique pour mieux projeter des couleurs qui n’en sont que plus éclatantes, ici sur des costumes d’un jaune topaze, là dans des décors rougis et bleutés qui n’en deviennent que plus féériques. Quant aux costumes de Jean Lecointre et Malika Chauveau (qui signe aussi les décors), ils invitent largement à l’hilarité, tel cet accoutrement façon sumo bouffi qui habille (pour ne pas dire étouffe) le roi Cosmos, ce corps d’éponge pris par Popotte, ou encore ces têtes habillées par des entonnoirs, plumeaux et autres abat-jours. De quoi donner au film qui se tourne sous nos yeux des airs d’une joyeuse comédie, avec une mécanique du rire dont tous les protagonistes sont des maillons essentiels. À commencer par ces danseurs acrobates qui, entre ou pendant les tableaux (selon qu’ils incarnent l’équipe de tournage ou des créatures lunaires), multiplient sauts, roulades et grands écarts, le tout en parfaite harmonie avec la musique et au prix de gestes et de pirouettes pleines de grâce et d’élasticité.
Des jeunes voix prometteuses
Établi avec la volonté de promouvoir de jeunes talents, le casting vocal est notamment porté par Violette Polchi, qui campe en rôle travesti un Caprice n’ayant d’enfantin que l’allure et le look. Le refus de l’autorité parentale est affirmé par l’emploi d’un mezzo sonore émis avec panache, la ligne de chant étant lustrée par un joli vibrato venant donner, dans cette joyeuse farce, une saisissante force lyrique au désir de liberté ici exprimé. Sheva Tehoval est une Fantasia d’aussi bonne tenue, enjouée et candide, avec une voix aussi puissante que fleurie et chantante, et prompte à vocaliser gaiement. Son duo d’amour avec Caprice, toutes deux suspendues par le fil ténu d’un amour soudain et interstellaire, est un céleste moment. Jennifer Michel est une sémillante Flamma, au soprano finement timbré et effectivement enflammé dans ses intonations. Popotte, dans ses habits d’éponge, est campée par Cécile Galois qui joue avec bonheur d’une réelle force comique soutenue par une voix de mezzo à l’émission vive et résonnante.
Matthieu Lécroart est un risible Roi V’Lan, dont la grotesque couronne emprisonne la tête plutôt que de l’habiller. Le baryton est à l’aise tant dans le registre parlé que chanté, avec une diction finement ciselée sur une voix ample et agréable. En maître d’une Lune où l’amour est un virus et où les femmes sont des objets d’art ou d’utilité, Cosmos prête à rire lui aussi, avec Thibaut Desplantes dont la tête s’extrait laborieusement d’un énorme costume gonflable à collerette pour donner à entendre une voix au medium d’une chair aussi épaisse que son burlesque accoutrement. Trop furtivement, mais énergiquement, Kaëlig Boché campe un Quipasseparla de belle facture sonore. Eric Vignau est un Microscope qui se distingue par un timbre net et une diction soignée. Par sa voix de ténor vive en émission et à la ligne ondoyante, Pierre-Antoine Chaumien pare le rôle de Cactus de ses atours sonores.
Dirigé par le chef de chœur de l'Opéra de Limoges Edward Ananian-Cooper (avant que Chloé Dufresne ne prenne le relais pour les représentations suivantes), l’Orchestre de l'Opéra de Limoges contribue largement au dynamisme général, avec homogénéité dans l’alliage des pupitres. L’ouverture est pleine de l’allant attendu, portée par un rythme vif sans être non plus effréné, et l’expressivité est au rendez-vous dans les passages appelant à davantage de tendresse ou d’émoi (avec des cuivres -et notamment les trompettes- aux sonorités sachant être capiteuses et vibrantes lorsque nécessaire). Les ballets, tel celui des flocons de neige, sont captivants de lyrisme, et l’éruption du volcan est portée par un saisissant magma sonore qui doit beaucoup au feu des timbales. Dominé par les voix féminines (comme une revanche à ce statut de femme-objet dont il est ici question), le Chœur de la maison est irréprochable, côté Terre comme côté Lune, dégageant un matériau consistant et résonnant à souhait.
Accompagnée par l'orchestre venant rejouer l’entraînant motif de l’ouverture, c’est une belle ovation qui vient conclure ce spectacle qui sait aussi faire écho à l’actualité en faisant dire aux personnages, entre deux tableaux, que la Terre était cet endroit “où l’on s’envoyait des missiles pour rien”. Désormais, le vaisseau de ce Voyage est attendu à Vichy et Clermont-Ferrand, avant de poursuivre sa tournée dans les autres maisons lyriques parmi la quinzaine qui participent à cette coproduction.