Annick Massis, La Voix humaine Salle Gaveau
Un large canapé sur lequel repose un bouquet de fleurs mais aussi un revolver, deux fauteuils confortables, une petite table de salon qui sert de « reposoir » au téléphone au long fil qui la relie à son amant, tel est le décor dans lequel « Elle » -qui n’a pas de nom dans la pièce- se morfond dans l’attente de l’appel tant espéré de son amant (qui aujourd’hui la quitte pour une autre). Le sac des lettres échangées est prêt, tout semble en ordre. Dès que le téléphone sonne, débute un long monologue où « Elle » s’abandonne au spectre complet des émotions.

Annick Massis, vêtue de la robe rose évoquée dans la pièce -cadeau de l’amant certainement-, se transforme en tragédienne et se livre sans merci, passant par tous les affres de la passion dévorante qui affecte son personnage. Entre tendresse et désespoir, force héroïque, rage ou bienveillance, voire fausse indifférence, l’interprète déploie la puissance de son incarnation et de sa présence scénique. Ce dialogue fiévreux, qui emprunte la « voix » du téléphone, ne laisse jamais indifférent le public, et même s’amplifie lorsqu’Elle s’aperçoit que son amant lui ment. La blessure alors paraît irrémédiable et dès que la conversation s’achève sur les derniers accords du piano et dans le noir revenu, un coup de feu retentit…

Le rôle fut composé par Francis Poulenc sur la pièce de théâtre de Jean Cocteau, pour son « Rossignol à larmes », Denise Duval, ce à un moment où tous deux souffraient d’une rupture amoureuse. La voix d’Annick Massis est certes plus légère que celle de Denise Duval ou de Jane Rhodes, plus grave, qui reprit le rôle à sa suite Salle Favart. Pour autant, Annick Massis livre une lecture bouleversante de la partition de Poulenc qu’elle respecte à la lettre, sans jamais avoir recours au parlando, avec toujours cette émission haute et ces transparences qui lui sont propres, cette énergie dans l’aigu -ses Je t’aime déchirés et déchirants pour l’auditeur- qui touche à l’âme de chacun. Chaque mot est pesé ou soupesé sans recours à aucun artifice, toujours juste et si profondément humain. Annick Massis avait abordé ce rôle difficile et combien délicat déjà à Florence avec orchestre il y a plusieurs années, puis dans cette même formulation au Théâtre du Capitole de Toulouse il y a deux ans avec un grand succès public. Au piano, elle retrouve en Antoine Palloc son double en émotion et en exigence. Sous ses doigts, la musique de Poulenc s’élève au plus haut degré d’intensité.
Précédant La Voix humaine, Annick Massis offre également un de ses airs d’opéra favori “Ah! Non credea mirarti” tiré de La Sonnambula (Bellini). Amina dans un état second y évoque la mort et l’amour perdu, mais contrairement à La Voix humaine, l’issue de l’ouvrage apparaît souriante et optimiste. Annick Massis déploie ainsi d’emblée une ligne de chant lumineuse portée par la longueur du souffle et les nuances d’une émotion tranquille de belcantiste.
Une ovation debout couronne cette soirée.
