Hervé Niquet mène le sacré à un train d’enfer au TCE
Ce concert de musique sacrée porte quelques stigmates dus à la crise sanitaire liée au Covid 19. Initialement prévu en décembre 2020 dans la Chapelle Royale du Château de Versailles, il fut reporté en avril 2021 pour être finalement annulé mais il ressuscite enfin ce soir sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées. Tous ces bouleversements de calendrier ont aussi pour conséquence un changement de distribution et, Regula Mühlemann et Jean-Sébastien Bou ayant dû renoncer à leur présence ce soir, ils sont remplacés par Emöke Baráth et Alexandre Duhamel.
L’intitulé du concert, Ombre et Lumière, évoque la variété stylistique des œuvres sacrées pouvant être entendues dans les églises parisiennes à la fin du XIXème siècle. Dans sa Messe de Clovis (composée pour le XIVème centenaire du baptême de Clovis), Gounod rend à la fois hommage aux origines chrétiennes de la France et aux origines de la polyphonie empruntant un style néo-Renaissance évoquant les maîtres anciens. Fauré, lui, se démarque en composant un Requiem exempt de théâtralité éclatante dans la lignée de l’esthétique de sa musique de chambre : « Mon Requiem, on a dit qu’il n’exprimait pas l’effroi de la mort, quelqu’un l’a appelé une berceuse de la mort. Mais c’est ainsi que je sens la mort : comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d’au-delà, plutôt que comme un passage douloureux. »
Quelques motets caractéristiques de l’époque viennent compléter le programme faisant redécouvrir des œuvres de Lili Boulanger, Théodore Dubois (lui aussi organiste de la Madeleine), Alexandre Guilmant (organiste de la Trinité), André Caplet et Louis Aubert qui enfant, chanta le Pie Jesu du Requiem de Fauré lors de sa création en 1888 à l’église de la Madeleine.
La collaboration d’Hervé Niquet avec le Palazzetto Bru Zane (Centre de musique romantique française) s’inscrit dans une convergence d’intérêts pour redécouvrir les partitions originales ainsi que les intentions premières des compositeurs. Dans cet esprit, la version retenue de la Messe de Clovis est celle des éditions Choudens pour chœur seul et petit orgue, au plus près du style « historicisant » et le Requiem de Fauré est interprété dans sa deuxième mouture, une version de chambre (avec orchestre de chambre, deux cors, un orgue, chœur restreint et deux solistes) qui fut donnée à l’église de la Madeleine où le compositeur était organiste en 1893.
Animé par une volonté de prendre de la distance avec les interprétations attendues, Hervé Niquet propose une version non conventionnelle de ce répertoire, semblant s’approprier au pied de la lettre les propos de Gabriel Fauré: « Voilà si longtemps que j’accompagne à l’orgue des services d’enterrements ! J’en ai par-dessus la tête. J’ai voulu faire autre chose. » La singularité s’exprime tout d’abord dans le choix de tempi allants, tout le concert étant mené à un train d’enfer. À cela s’ajoutent des dynamiques contrastées délaissant les courbes des phrases au profit de saillies plus inquiétantes qu’apaisées. L’orchestre réduit propose une lecture précise et détaillée de la partition, peinant cependant à trouver un liant sonore dans l’acoustique peu réverbérante du Théâtre des Champs-Elysées (rendant âpre le repos éternel). Quelques moments tendres trouvent néanmoins un espace dans la douceur des phrasés du violon solo de Chouchane Siranossian ainsi que dans les nuances subtiles du chœur. L’émission précise des chanteurs de ce chœur favorise un son d’ensemble homogène et une limpidité du discours. La brillance sonore supplée à l’effectif réduit (24 chanteurs) et permet au public d’apprécier les riches couleurs des harmonies des œuvres présentées.
Emöke Baráth déploie sa voix claire richement timbrée de soprano dans deux motets, dynamisant sans cesse son émission afin de vivifier les phrasés. Cependant, elle ne parvient pas à réconforter dans le Pie Jesu du Requiem de Fauré, l’agitation de sa posture, le tempo rapide et son phrasé peu soutenu créant un sentiment d’urgence et d’inquiétude.
Alexandre Duhamel possède une voix de baryton sonore dotée de graves au timbre brillant. Il nuance son chant tout en restant présent dans la douceur et propose de belles envolées aux côtés de la soprano dans le duo du motet de Théodore Dubois. Cependant l’intensité de son chant s’accompagne souvent d’un geste vocal quelque peu forcé, ce qui lui fait perdre le centrage du timbre et rend poussive son imploration dans le Libera me.
Le public, quelque peu surpris par ce Requiem de Fauré hâtif, applaudit néanmoins chaleureusement les artistes. Le concert Ombre et Lumière a bien eu lieu, Hervé Niquet et Le Concert Spirituel peuvent retourner soulagés à leur série de concerts consacrés à deux comédies ballet : Le Malade imaginaire de Molière/Charpentier et Le Mariage forcé de Molière/Lully.