Joyce DiDonato en pleine lumière au Mozarteum Argentino
Ce cheminement vers la lumière proposé par Joyce DiDonato s’inscrit dans l’espoir d’une sortie de crise sanitaire alors que la mezzo américaine avait donné fin 2019 un récital au Teatro Colón déjà sous l’égide du Mozarteum Argentino, sur le thème tolstoïen « Guerre et Paix », juste avant que n’éclate la "guerre sanitaire" contre le Covid. C’est dire l’émotion de la chanteuse et du public à l’occasion de ce concert de retrouvailles qui offre des pièces intimistes. C’est une intimité teintée d’optimisme, de joie de vivre, d’ouverture sur un avenir plus serein qui met en avant la nécessité de la musique dans cette quête d’espérance, comme le souligne la chanteuse. L’accompagnement au piano de Craig Terry renforce du point de vue du format adopté cette proximité entre les artistes en scène et le public.
Le programme de la soirée brosse un éventail chronologiquement et stylistiquement très large qui s’organise en trois temps. Le premier recouvre le baroque anglais avec Purcell et Haendel, répertoire dont Joyce DiDonato est l’une des spécialistes dans sa tessiture. Le second passe par l’Europe lyrique du XIXe siècle représentée par Rossini et sa cantate Giovanna d'Arco ainsi que par cinq Lieder de Wagner. Le troisième enfin, plus décontracté et s’ouvrant sur des échanges avec le public, est plus surprenant. Il fait place au contemporain de Broadway avec With A Song In My Heart de Richard Rodgers et Lorenz Hart qui voit l’arrivée en scène de l’Argentin Lautaro Greco. Le toucher sensible empreint de nostalgie de son bandonéon semble unir les lumières de Broadway et celle de l’Avenida Corrientes de Buenos Aires. Une version de La Vie en rose clôt ce récital et ce détour vocal américain : la célèbre chanson d’Édith Piaf est d’abord chantée dans un français audible mais terminée en anglais, ce qui semble justifier des arrangements musicaux plus proches des revues de Broadway que de ceux de la chanson française d’origine.
Une voix luminescente
La clarté lumineuse du timbre de Joyce DiDonato est une veilleuse qui perce dans la morosité et l’obscurité ambiantes et les doutes qui pèsent autour de l’évolution de la pandémie. La douceur de l’émission est comme une caresse qui réconforte au fur et à mesure de l’envol progressif des émissions. La fraîcheur vocale transcende les époques et les styles. L’ouverture de l’articulation dans la langue maternelle de la mezzo lui permet de dévoiler dans ses projections vocales le cristallin des aigus, la chaleur mordorée des hauts et bas médiums. Des volutes cotonneuses se dessinent dans l’air, tandis que le vibrato, rond et enveloppé, presque drapé, donne une assise aérienne aux vocalises et aux prises de volume. Car l’agilité, une fois la voix chauffée, est sur toute la tessiture.
C’est sous l’angle d’une symbiose concertée que la finesse et la délicatesse du jeu de Craig Terry trouvent une forme de correspondance dans l’onctuosité et le velouté des déploiements vocaux. C’est aussi par la virtuosité, acclamée par le public, que se fait l’union entre la chanteuse et son pianiste. Si Craig Terry offre à l’occasion un jeu flamboyant d’une grande précision rythmique, l’ampleur de l’ambitus de Joyce DiDonato est une démonstration de force où la longueur du souffle autorise des prises de risque assumées. La capacité respiratoire et articulatoire est mise au service de l’expressivité qui fait ressortir des accents et des fioritures baroques marquant la signature de la mezzo, y compris en interprétant Rossini. La plasticité du jeu de ses accompagnateurs et de la voix entrelacés trouvent aussi d’autres élans, d’autres échappatoires sur le répertoire contemporain. Le piano swingue, le bandonéon pince le cœur tandis que la voix roule et enlumine la mélodie des coloris de la passion amoureuse, dans une décontraction propice à sortir de la zone de confort de la mezzo.
Les sourires lumineux et communicatifs s’inscrivent sur les visages de la chanteuse et de ses accompagnateurs qui sont longuement et chaleureusement applaudis par un public reconnaissant qui reçoit trois bis en retour. Comme quoi la joie de vivre et l’optimisme sont aussi contagieux en cette reprise d’activité du Mozarteum Argentino.