Vivre pour l'art, Mourir pour l'amour : Tosca reprise à Londres
La vénérable production signée Jonathan Kent de la Tosca de Puccini est à nouveau repise, dans une version qui s'inscrit pleinement dans la continuité de celle ayant vu Bryn Terfel triompher en 2019, dans une ère pré-pandémique. La production datant de 2006 ne montre absolument aucun signe d'usure : les décors (en particulier des deux premiers actes) offrent toujours l'élégance et le style de la grandeur baroque : l'intérieur de l'Église Sant'Andrea della Valle tout en marbre et en fer forgé, avec les peintures murales de Cavaradossi et d'autres, très présentes, puis les appartements de Scarpia avec d'immenses lambris incorporant des bibliothèques du sol au plafond, une sculpture de Saint-Michel et d'autres signes de luxe.
Elena Stikhina dans le rôle de Tosca déploie sa gamme de couleurs tout au long de l'œuvre. Dans ses échanges avec Cavaradossi au premier acte, elle passe des fortissimi déployés -pas toujours parfaitement maîtrisés- aux pianissimi les plus séduisants. Le son dans le registre moyen est tendre, et un peu plus féroce lorsqu'elle se déplace au-dessus de la portée notamment les aigus entourant le "Vissi d'arte" mais ce grand air lui permet de déployer son interprétation et de s'offrir à l'auditoire (même si elle doit commencer l'aria en tournant le dos au public et en chantant vers le pied droit d'une statue de Saint-Michel).

Bryan Hymel qui multiplie hélas depuis trois saisons des annulations et prestations inquiétantes est ici contraint d'abandonner au premier entracte. L'annonce vient confirmer les difficultés vocales d'un instrument puissant mais qui échappe au contrôle dans le forte. Le ton plutôt rauque peine à déployer un legato et déséquilibre la plupart des duos avec Elena Stikhina notamment lorsqu'elle chante piano, mais le ténor marque néanmoins par l'étonnant cynisme de son "Or va, lasciami!" qui conclut de fait, ou presque, sa prestation. Freddie De Tommaso, initialement engagé pour la seconde distribution en alternance, entre donc directement sur le plateau du deuxième acte et donc d'emblée dans la chambre de torture. Le jeune ténor met certes du temps à s'installer et ne déploie pas un matériau aussi grand ou puissant, mais suffisamment pour les échanges avec les autres personnages et même le cri de Victoire. Son registre moyen presque droit où il réduit le vibrato au minimum lui permet de passer à une voix mixte voire de tête sonnante, avec un vibrato riche. Son registre grave est chaud et bien contrôlé. Lorsqu'il s'installe dans le troisième acte, il livre son grand air "E lucevan le stelle", arrêtant littéralement le spectacle (le public éclate en applaudissements aux mots "tanto la vita!", la cheffe tenant l'accord puis attendant la fin des longs applaudissements avant de reprendre).
[Mise à jour : Bryan Hymel s'est retiré de la production, cédant ses autres dates à Freddie De Tommaso]
#aboutlastnight Freddie De Tommaso jumped in mid-show to sing Mario Cavaradossi at the @royaloperahouse !! https://t.co/wsVIVGsTxY @FredDeTommaso @deccaclassics pic.twitter.com/2lcvHa3MgF
— mwamanagement (@mwamanagement) 9 décembre 2021
Alexey Markov campe un Scarpia diabolique avec son baryton souple sur toute la gamme mais nerveux dans ses échanges avec Spoletta, lyrique sans effort face à Tosca, et faisant preuve d'une puissance sans retenue dans le Te Deum. Les scènes avec Tosca dans l'acte II accentuent l'ironie du personnage (il applaudit dans la foulée du public le "Vissi d'arte", en puissant coup de théâtre) et font regretter qu'il disparaisse de l'acte III.
Jeremy White, vétéran de Covent Garden, ne reçoit pas le rôle du Sacristain qu'en remerciement de ses bons et loyaux services : son interprétation d'un personnage bienveillant et spirituel est développée, avec même une pointe de défi dans ses échanges avec Scarpia. Sa basse est mélodieuse, meilleure dans son registre moyen que dans ses extrêmes et pas très puissante, mais seyante pour la douce comédie qu'il apporte au rôle.
Spoletta et Sciarrone sont chantés par Hubert Francis et Jihoon Kim. Le premier est un peu en retrait notamment face à Scarpia (bien que son rôle l'y porte), car sa présence corporelle pâtit d'une voix inégale. Le second s'intègre à l'ensemble scénique et musical, avec une élégance fonctionnelle. Yuriy Yurchuk déploie de nouveau ses graves en Cesare Angelotti. Enfin, le garçon berger est toujours désaccordé.
L'Orchestre maison suit la direction d'Oksana Lyniv avec une puissante intensité : les cuivres vrombissent dans toute l'acoustique, ouvrant sur la richesse des sons de flûte dans le grave. La cheffe garde des tempi vifs mais avec des cadences articulées, conduisant aussi le chœur impeccable et soulevant l'enthousiasme d'un chaleureux accueil par le public.