Bartoli et Fagioli à la Philharmonie
Franco Fagioli fait une entrée sautillante, pleine d'engagement et de confiance pour interpréter le Nisi Dominus de Vivaldi. S'il tient la partition dans ses mains, la maîtrise du morceau ne laisse aucun doute dès les premières mesures. La voix, peu puissante, se développe au gré d'un opus qui la ménage, dans une tessiture confortable quoique parfois à la frontière du registre grave audible. Le son est doux, expressif, mais ne se défait pas d'une couleur engorgée qui, dans les aigus, feutre l'émission et émousse la précision de la ligne. La virtuosité de l'interprète n'en reste pas moins appréciée et si certains sons (notamment les trilles) sur-emploient la mâchoire qui ne se libère pas tout à fait, le contre-ténor argentin est vigoureusement applaudi à la fin du morceau.
Cecilia Bartoli fait ensuite une apparition discrète, vêtue du même type de costume noir que portent tous les interprètes (musiciens et chef compris), regard vivant et sourire accueillant aux lèvres. L'humilité de son entrée, pourtant très remarquée par un public de fans, habite son premier morceau "What passion cannot Music raise and quell!" (extrait de l’Ode for St. Cecilia’s Day de Haendel) plein de mélancolie et de joie en demi-teinte. Le timbre, immédiatement reconnaissable, se déploie dans la salle et séduit par sa fragilité, parfois (et volontairement) aux limites de la brisure. Si quelques effets illustrant assez littéralement le texte (pleurs dans la voix par exemple) chargent un peu l'expressivité au-delà de la simplicité, la maîtrise de l'instrument est manifeste ainsi que le plaisir, contagieux, de la diva romaine.
Le Stabat Mater de Pergolèse réunit les deux artistes sur scène et surprend par la grande ressemblance de leurs voix, due en partie à un emploi maxillaire et glottique partagé dans l'émission et à une connivence dans l'abondance dramatique. La pièce musicale, sobre et richement composée (au point d'avoir été citée, reprise, adaptée de diverses façons, par de nombreux compositeurs a posteriori y compris par Bach dont l'Ave de sa version est repris ici en bis), trouve dans ce travail commun deux orfèvres dévoués et soucieux de rendre au mieux les nuances et l'émotion de l'écriture. Là encore, si certains phrasés sont peu liés et l'émission parfois trop peu franche, le recueillement auquel invitent les artistes prend le pas sur les réticences : ce dont témoigne un public qui explose de reconnaissance à peine la dernière note achevée.
Le chef, Gianluca Capuano, dirige d'une battue précise des instrumentistes visiblement ravis de jouer ensemble dans la grande salle Pierre Boulez. Si certains tempi sont presque trop lents au risque de s'éloigner de l'effet recherché, la nervosité des moments plus allants révèle une grande force de cohésion et une écoute attentive de la respiration des instrumentistes comme des chanteurs. Le son des Musiciens du Prince - Monaco, très rond, cherche toujours à se rapprocher des solistes sans jamais les couvrir. Le premier violon, Enrico Casazza, valorise non seulement la beauté de l'instrument mais également un engagement qui emporte jusqu'à son corps dans les lignes les plus tortueuses. De même, Pier Luigi Fabretti, soliste durant le Concerto en ré mineur pour hautbois et cordes d'Alessandro Marcello qui précède le Stabat Mater final, fait montre d'autant de concentration que de générosité, se mettant sans peine au diapason de la soirée.
Bartoli et Fagioli, bouquets en mains, sont longuement applaudis par un public qui n'hésite pas à se lever pour témoigner de sa reconnaissance. Voire à venir offrir des cadeaux à la diva italienne, émue et pleine d'une gratitude amusée, dans un rituel dont elle a l'habitude de la part d'un public conquis.