Mélancoliques Lachrimæ de Dowland Salle Cortot
Victimes comme tant d’autres de l’époque troublée qu’était l’Angleterre au XVIIe siècle, les artistes y partagèrent leurs douleurs et leurs plaintes mélancoliques. Le luthiste John Dowland est l’un d’entre eux. Ce soir, en la salle Cortot, l’ensemble La Chimera, dirigé par le luthiste Eduardo Egüez, en complicité avec le ténor Zachary Wilder, vise à plonger l’auditeur dans cette atmosphère émotionnelle dense, profonde et complexe, en interprétant quelques-unes des œuvres polyphoniques de Dowland extraites de son recueil Lachrimæ or Seven Tears. Le programme alterne donc les tendres et tristes pavanes, variations autour d’un thème dont la mélodie descendante est déjà intensément suppliante, avec d’autres pièces du même recueil, parfois profondément touchantes mais d’autres fois plus dansantes.
Pour communiquer toute la poésie des textes anglais, ajoutés probablement par Dowland lui-même, le ténor américain Zachary Wilder manifeste une sensibilité expressive paraissant authentique, souvent touchante parfois même émouvante. Prenant de l’assurance après Flow my tears, il démontre une conscience maîtrisée de son souffle pour offrir de longs phrasés. Son timbre est clair sur toute sa tessiture mais particulièrement argenté dans les reflets de ses aigus, mettant ainsi sa musicalité au service de la poésie dont le texte est rendu limpide par une diction extrêmement soignée et des regards s’adressant à son auditoire. L’auditeur se laisse alors volontiers transporter et même émouvoir par les douces mélancolies partagées lors de Go Crystal Tears ou Now, O now I needs must part où la mélodie redondante devient émotion familière.
Le consort de violes, rejoint par le son moelleux et chaud du violon (Margherita Pupulin) et la netteté des attaques des cordes pincées du luth (Eduardo Egüez), participe indéniablement au charme émotionnel de ces chansons. Les musiciens interprètent également des œuvres seulement instrumentales, qui sont comme des résonances ou des commentaires sur les poésies entendues. Les violes séduisent par leur timbre chaleureux et leurs intentions sensibles proches de celles de la voix, et l’ensemble parvient à proposer des couleurs douces particulièrement bouleversantes, par exemple lors de la pavane Lachrimæ Tristes. Chacun des musiciens est attentif à l'autre, dans un souffle commun, invitant presque l’auditeur à prendre avec eux ces longues respirations qui sont alors pleines de sens. La polyphonie subtile de Dowland, mêlant les mélodies et les contrechants, permet d’exprimer une certaine profondeur dans la complexité des sentiments douloureux et langoureux. Malgré les plaintes finement déchirantes des violes, le violon sait réconforter de ses lignes souples, notamment dans le Lachrimæ Coactæ.
Comprenant que le public souhaite un bis, les interprètes offrent la seconde partie de Dear, if you change, la plus lumineuse promesse d’une déclaration d’amour : "Earth with her flowers shall sooner heav’n adorn" (De ses fleurs, la terre ornera bientôt le ciel).