Requiem de Campra étincelant et apaisant à Versailles
Dès les premières notes, Les Arts Florissants déploient l’intensité des implorations de trois Psaumes
de David signés Marc-Antoine Charpentier (qui en a composé pas
moins d’une cinquantaine, tous destinés à accompagner les célébrations de la
Semaine Sainte).
Particulièrement riches en contrastes et en fulgurances musicales, les
alternances de chœurs et de soli sont très soigneusement équilibrées, témoignant
gratitude et confiance dans le Très-Haut même dans les moments les plus sombres
et désespérés. Les effets de surprise et les passages de recueillement profond
et délicat alternent avec élégance et dynamisme entre chaos terrifiant et finale solaire jusqu’à
la suavité du chœur conclusif du Conserva me Domine en
longues phrases déliées et suspendues déclinées jusqu’à des pianissimi
saisissants.
Mais la pièce maitresse de ce programme dédié à ces deux compositeurs français du tournant des XVIIe et XVIIIe mis en regard est le Requiem d’André Campra. William Christie, en grand connaisseur de cette œuvre, en illustre l’aspect apaisé et tendre dès le chœur d’entrée, en gardant la lenteur impassible de l’introduction jusqu’à la deuxième phrase, traditionnellement interprétée plus vivement, mais qui sous sa direction garde cette quasi immobilité hypnotique et prend une dimension mystique. Le fondateur de l’ensemble conserve jusqu’à la note finale cette rigueur dans les tempi et des dynamiques rebondissantes tout en dansant presque, et en insufflant à ses musiciens des inflexions et des phrasés inspirés. C’est justement dans ces parties rapides et virtuoses que Les Arts Florissants illustrent l’influence de l’école italienne auprès de Campra qui lui a permis de renouveler le style musical de la cour avec la maitrise de l’écriture pour chœur et des effectifs instrumentaux.
Tout le reste est à l’avenant, avec le chœur des Arts Florissants au son toujours moelleux, mais capable de passages plus grandioses, saupoudrant tout le propos de cette clarté paisible qui rend ce Requiem si délicat et planant (souvent décrit comme le précurseur des Requiem de Fauré, Duruflé ou Desenclos qui mettent l’accent sur l’espérance de l’au-delà plutôt que sur la douleur de la perte ou encore la crainte du Tout-Puissant, Campra ayant d’ailleurs délibérément omis le Dies Irae-Colère Divine dans le déroulé).
Les solistes ne sont pas en reste. Gwendoline Blondeel déploie un soprano rond et charnu, en imposant beaucoup dans les parties délicates comme le Sanctus et dans les grandes phrases triomphantes du Finale. Nicholas Scott est un haute-contre à la stature et aux vocalises très soignées qu’il déroule en guirlandes toujours phrasées même quand elles sont rapides (faisant regretter ses voyelles trop ouvertes dans l’extrême aigu). Zachary Wilder affiche toujours une assurance légitime dans ses interventions, tant son timbre est vif et argenté, son volume imposant, et sa diction infaillible. Matthieu Walendzik délivre une prestation très convaincue, avec une projection très sûre et une assise confortable sur toute la tessiture, même si certains phrasés manquent parfois de délicatesse. Marc Mauillon sort enfin du lot, avec un son toujours ample et majestueux, une homogénéité sans faille, une capacité étonnante à alterner les passages délicats sur le fil du rasoir et les moments plus dramatiques avec un matériau à la fois très cuivré et soyeux.
Le public de la Chapelle Royale, réservant aux artistes une ovation, est récompensé par la reprise en bis du premier mouvement avec cette lenteur fascinante et assumée qui ouvrit la soirée sur un éclat de grâce.