Andreas Scholl et Maarten Engeltjes, Music & Love à Gaveau
Here the Deities approve, extrait de l’Ode à Sainte Cécile de Purcell et première pièce du programme, place le concert sous les auspices des Dieux de la musique et de l’amour. Les trompettes retentissent (Sound the trumpet), le luth gazouille (Ah, Heav'n! What Is't I Hear?), la musique devient source de réconfort et de joie dans les airs : If music be the food of love (intitulé du concert) et Music for a while. Purcell, surnommé l’Orphée britannique, met en musique la langue anglaise avec raffinement, déclinant les états amoureux dans toutes leurs diversités : l’amour irrésistible (No, resistance is but vain), source de joie (Sweeter than roses) ou de chagrins incommensurables (The plaint). Le programme met ainsi en lumière la richesse et la variété du corpus d’œuvres vocales du compositeur en proposant également des chansons, des odes à la gloire de la Reine Marie et un air sacré (An evening hymn). La musique de scène est également présente avec la mort de Didon ainsi que plusieurs extraits de ses semi-opéras The Fairy Queen et King Arthur, destinés à être joués entre les actes de pièces de théâtre et dont Purcell contribua à fixer la forme.
Les deux contre-ténors interprètent à tour de rôle ces différents airs révélant des identités vocales différentes, l’une solaire, l’autre plus ténébreuse. Ils se retrouvent cependant pour les duos (rappelant notamment l’influence de John Blow sur son élève Purcell) dans une communion musicale, un rendez-vous du soleil et de la lune.
Avec Purcell, Andreas Scholl revient à ses premières amours, à un répertoire qui le distingue y compris en tant que contre-ténor interprétant le rôle de Didon (destiné à une voix féminine) ce dont il s’explique : « La voix de contre-ténor surprend le public, transcende les genres et nous rappelle que nous sommes humains avant tout. L’opéra est le lieu des transformations, des transformistes, on chante l’un et l’autre sexe alors pourquoi pas [Didon] pourvu qu’on fasse de la musique avec ». Dans ce lamento, le legato soutenu que déploie le chanteur tout en gardant une nuance contenue touche intimement le public qui applaudit chaleureusement l’artiste à la fin de l’air. Music for a while est également un moment fort de la soirée, le contre-ténor colorant différemment chaque goutte de musique (« drop ») répétées et entrecoupées de silences dans une suspension du temps saisissante. Son engagement musical permanent supplée une certaine confidentialité de la voix et une limite dans la possibilité d’intensifier le son, son émission étant concentrée dans un petit espace près de la nasalité. Mais si ses réponses à son partenaire Maarten Engeltjes semblent en retrait lorsqu’ils se répartissent les couplets de Fairest Isle, leurs voix mêlées sont mues par une même conduite, transmettant la musique de Purcell dans toute sa richesse. Leurs vocalises s’égrènent énergiquement dans Sound the trumpet, leurs plaintes sont irrésistibles dans No, resistance is but vain et, dans une écoute intense, leurs voix se joignent pour faire entendre les délicieuses dissonances dans la pièce de John Blow ainsi que les unissons finaux délivrés avec délicatesse et précision.
Maarten Engeltjes assume avec bonheur la direction de l’ensemble PRJCT Amsterdam (qu’il a fondé en 2017) ainsi que ses parties de contre-ténor aux côtés d’Andreas Scholl. Il communique sa joie de sa voix ronde et généreuse dans If music be the food of love, vocalisant agilement dans Sweeter than roses qu’il achève avec un grand sourire. À l’instar des cordes, il étire le phrasé de The plaint dans une tendre mélancolie, pouvant se transformer en une déclamation déchirante (« He’s gone »). Dans un tempo implacable et une tension poussée au paroxysme à deux reprises, il transforme l’air du génie du froid extrait de King Arthur en marche inéluctable vers la mort.
L’enthousiasme avec lequel s’engage l’ensemble PRJCT Amsterdam répond à l’émulation positive du chanteur-chef Maarten Engeltjes. La stabilité rythmique du continuo assure une force expressive à l’ensemble, faisant même "groover" la basse obstinée de l’air Sound the trumpet. Enrichi du timbre du basson, il intervient dans une diversité de couleurs sans cesse renouvelée. Les musiciens, interprétant également trois pièces instrumentales (une Sinfonia et deux Chaconnes) sont partie prenante du haut niveau de musicalité de la soirée.
« If music be the food of love, Sing on till I am fill’d with joy » : si la musique nourrit l’amour, chante jusqu’à ce que je sois empli de joie. Il est en effet question de joie ce soir, celle de Maarten Engeltjes de pouvoir donner de nouveau des concerts, celle des musiciens offrant deux bis (une chanson écossaise et la reprise de Sound the trumpet) et celle du public qui, reconnaissant, applaudit chaleureusement les artistes.