Plateau vocal royal pour Radamisto, de Montpellier aux Champs-Elysées
Cette version concertante de Radamisto de Georg Friedrich Haendel vient ouvrir la résidence artistique de trois années de Philippe Jaroussky à l’Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie, ce quelques mois après le succès remporté par sa toute première direction musicale, pour Il Primo Omicidio de Scarlatti au Corum. Cette première année dans la capitale languedocienne verra le contre-ténor se produire au sein de différentes manifestations musicales importantes, dont en juin 2022 Jules César de Haendel, ouvrage qu’il dirigera à la tête de son Ensemble Artaserse avec une distribution brillante.
Opéra de trois actes sur un livret de Nicola Francesco Haym, d'après Domenico Lalli et Matteo Noris, Radamisto constitue le premier ouvrage lyrique composé par Haendel pour la Royal Academy of Music de Londres qui venait de se constituer. Cet opéra fut créé en avril 1720 au King’s Theatre avec une distribution majoritairement anglaise, avant une nouvelle présentation en décembre de la même année dans une version profondément remaniée pour une troupe de chanteurs italiens que le compositeur avait expressément choisis lors d’un voyage en Italie. L’histoire connaît de multiples rebondissements et péripéties (résumés ici). Cet ouvrage assez noir et guerrier dans sa forme précède les plus illustres réussites du compositeur comme Jules César ou Alcina. Pour autant, il ne possède pas encore le caractère puissamment dramatique de ces derniers et leur complexité. Les airs souvent fort beaux succèdent aux airs, dont le fameux Ombra cara dévolu au personnage de Radamisto. Dans ce rôle, Philippe Jaroussky, qui a déjà confié au disque son interprétation de cet air, subjugue toujours par sa maîtrise vocale absolue et la maturité artistique dont il fait constamment preuve. Il offre un portrait complet de ce personnage tourmenté, avec un chant tour à tour élégiaque voire même un peu enfantin, ou plus accrocheur dans les parties plus intenses. Chez lui, la virtuosité et la musicalité se confondent au bénéfice d’une interprétation qui s’insinue durablement dans le cœur.
Dans le rôle de son épouse Zenobia, Marie-Nicole Lemieux déploie toutes les ressources de sa voix de contralto. Dans son air d’entrée enfiévré, elle ose les graves profonds et puissants, les contrastes les plus imprévus, les extrêmes pour tout dire. Elle habite chaque note avec ferveur et confère à ce beau personnage, en lutte pour préserver son amour pour Radamisto et repousser avec éclat les ardeurs de Tiridate, une image de fierté féminine déterminante. Le merveilleux duo entre les deux époux constitue un moment d’émotion pur que la complicité et l’affection qui émanent des deux artistes accentue encore un peu plus.
Le personnage de Polissena, de fait plus passif, prend un relief certain par la voix conduite d’Emőke Baráth, autre partenaire habituelle à la scène et au concert de Philippe Jaroussky. La voix semble s’être élargie, affirmée, avec des aigus épanouis, sans que la ductilité première n'en soit affectée, bien au contraire. Son interprétation de son air principal Sposo ingrato, avec l’appui virtuose du premier violon de l’orchestre Zefira Valova -vivement saluée par le public-, se révèle comme un moment clé de la représentation.
Le ténor Zachary Wilder, dans le rôle du méchant et bien antipathique Tiridate, s’en donne à cœur joie dans la composition du personnage jusqu’à son revirement soudain devant la magnanimité et l’humanité de son adversaire. La voix possède une rondeur, un aigu vaillant, et un mordant qui trouvent leur pleine expression dans les airs de bravoure qui lui sont confiés, le premier avec trompette obligée, Stragi, morti et plus encore le second, Alzo al volo avec l’accompagnement appuyé de deux cors.
Anna Bonitatibus livre une leçon de technique et de style dans le rôle de Tigrane, Prince du Pont. La sûreté de l’émission vocale et du legato, la vaillance dont elle fait preuve, une sensibilité intrinsèque, confèrent à son chant une dimension de haute qualité expressive.
La jeune Alicia Amo offre à Fraarte son soprano plus léger et aérien, presque juvénile, sorte de rayon de soleil au sein du drame qui l’environne. Renato Dolcini baryton-basse, malgré un rôle bien moins étoffé, parvient bien à traduire, par sa grande tenue vocale et son investissement, les inquiétudes et marques de désespoir du Roi Farasmane.
Sous la direction musicale de Francesco Corti, Il Pomo d'Oro fait rayonner la musique de Haendel dans toute sa plénitude et sa complète dimension. Ces qualités alliant richesse des couleurs et précision des pupitres, se révèlent tout au long de l’ouvrage depuis son ouverture dans le style français, aux airs et duos, et jusqu’à ce finale enthousiaste qui tranche totalement avec le reste de la partition.
Le public parisien réserve une belle ovation à la redécouverte de cet opéra baroque.