Découverte d’un illustre compositeur inconnu namurois avec Alarcón à Ambronay
La ville belge de Namur peut être fière de compter parmi les artistes qui y sont nés Jacques Arcadelt (1507-1568), ou Jacobus de Arca d’Elta. Bien qu’étant l’un des plus prolifiques compositeurs de madrigaux de son temps, bénéficiant ainsi d’une très grande popularité qui persista après sa mort, l’histoire moderne semble avoir oublié Arcadelt. Sans doute souffre-t-il d’avoir exercé entre Josquin Desprez, dont il fut probablement l’élève, et Giovanni Pierluigi da Palestrina, que son œuvre influença. Un musicien donc de transition dont l’œuvre mérite pourtant d’être entendue. Pour faire revivre sa mémoire, le public peut compter sur la curiosité passionnée de Leonardo García Alarcón et de ses ensembles le Chœur de chambre de Namur et la Cappella Mediterranea. Dans cette anthologie des œuvres qui ont le plus marqué le musicien-chef argentin, et qu’il présente ce soir en programme, se retrouvent évidemment des madrigaux en italien ainsi que des motets en latin.
Pour immerger l’auditeur dans l’univers d’Arcadelt, la mise en espace est particulièrement pensée, les chanteurs du chœur ainsi que les solistes se disposant, sur scène comme dans l’abbatiale, différemment selon les œuvres. C’est ainsi que la soirée débute dans le noir complet, introduisant progressivement le madrigal le plus célèbre du temps du compositeur, Il Bianco e dolce cigno, d’une voix de femme venant du fond de l’abbatiale jusqu’au tutti à plusieurs voix sur scène. Souvent les solistes se placent devant la scène et devant le chef, les obligeant à être particulièrement attentifs du coin de leur œil pour être bien ensemble. Le public retiendra sans doute l’effet de spatialisation proposé pour l’Agnus Dei extrait de la Missa Ave Regina Caelorum, lors duquel les chanteurs se dispersent dans l’abbatiale. Ainsi isolés les uns des autres, l’homogénéité de son laisse toutefois place au déséquilibré sonore, forcément.
Cependant, la direction de Leonardo García Alarcón reste en tout point admirée. Il se montre constamment attentif aux équilibres, les dosant avec une grande réactivité et impulsant les dynamiques de phrasés par des gestes amples toujours sûrs et néanmoins précis. Son amour pour les textes est évident, le spectateur pouvant être témoin de sa délectation des moindres mots qu’il prononce du bout des lèvres, sans qu’il n’omette les lignes mélodiques qui portent ces textes. Sous sa direction, le Chœur de chambre de Namur fait entendre une grande souplesse des lignes vocales, magnifiant les entremêlements des voix qui produisent toute la beauté de la polyphonie Renaissance. Le Salve Regina à Cinq voix ou le Pater Noster à huit voix, laissent ainsi entrevoir quelques couleurs célestes.
Les madrigaux sont autant d'occasions d’entendre quelques interventions solistes, en quatuor, en duo ou seuls. La soprano Mariana Flores charme par sa présence habitée, notamment lors du très intime Deh! dimm' Amor se l'alma di costei sur un poème de Michel-Ange (en personne) avec harpe seule. Son timbre est clair avec une touche de rondeur, mais faisant mal comprendre la conduite de ses phrasés, tout comme d’ailleurs ses textes.
La jeune soprano Marie Lys déploie des aigus cristallins dans l’œuvre qui termine le programme quoique sortant du style : la mise en musique du poème de Rudolf Steiner Das schöne Bewundern, commande du Centre Culturel de Rencontre et Festival d'Ambronay auprès de Leonardo García Alarcón, qui fait donc la grande amitié d’en offrir ce soir la création.
En duo avec Mariana Flores, Marie Lys fait entendre la fraîcheur de son timbre, également doté d’une fine rondeur qui ne perd pas en projection. Le ténor Valerio Contaldo peut faire entendre une voix chaude et sûre, qu’il sait équilibrer lors des moments d’ensemble. Rejoints par la voix profonde de la basse Matteo Bellotto et le timbre tendre du contre-ténor Paul Figuier, les solistes proposent notamment un madrigal aux imitations plaintives, Io son talvolta, Donna, per morire, ou un autre agréablement rythmé, Amor tu sai pur fare, repris d’ailleurs en ter avec encore plus de nuances et pour le grand enthousiasme du public.
Sans doute Leonardo García Alarcón et ses ensembles sont-ils plus experts dans l’interprétation des répertoires lyriques du XVIIe siècle, à commencer par Monteverdi, leur donnant l’éclat et l’exubérance qui propulsèrent le genre de l’opéra. Peut-être cette connaissance et cette pratique interprétative pourrait-elle sembler anachronique en présentant le répertoire d’Arcadelt, qui appartient encore à la Renaissance, dans une version déjà baroque. Néanmoins, le public se montre fort reconnaissant de cette redécouverte d’œuvres particulièrement riches et belles, défendues avec une passion et une exigence musicale évidentes. L’exigence musicologique pourra assurément faire l’objet de l’appropriation d’ensembles experts en musique de la Renaissance, notamment les chants sacrés. Un travail de recherche et de complémentarité entre les ensembles aussi encourageant qu’enthousiasmant.